Un attentat de trop ou le retour de l’héroïque sacrifice…

Le mouvement « dextrogyre », ce décalage des idées vers la droite, tel que décrit par l’universitaire québécois Guillaume Bernard, a-t-il franchi un nouveau palier ? L’éloge funèbre d’Emmanuel Macron, dans la cour des Invalides, devant la dépouille de d’Arnaud Beltrame est révélateur. En phase avec la vague – légitime – d’admiration qui submerge l’opinion, il n’hésita pas à déclarer : « votre sacrifice, Arnaud Beltrame, nous oblige, il nous élève (…) accepter de mourir pour que vivent des innocents, tel est le cœur de l’engagement du soldat, telle est la transcendance qui le porte ». Mort, transcendance, sacrifice, constellation insolite dans notre société individualiste, consumériste et post-soixantuitarde…
Rien que le mot sacri-fice en dit long : sacer-facere, ce qui « rend » sacré, ce qui fait passer de l’ici-bas à l’au-delà, du côté des dieux ; ou plus exactement ce qui fait rentrer dans l’espace du temple, le fanum : le sacrifié ayant cessé d’être un pro-fane (litt. qui se tient devant le sanctuaire sans pouvoir y pénétrer) pour accéder à un statut divin. Le sacrificium passe par le sang versé. La victime se transformant en héros, ces demi-dieux – hemi-theoi – auxquels l’on rend un culte sur leurs tombeaux dans l’espoir d’un bienfait ou d’une guérison.
Toutefois, ces héros ne sont pas seulement des personnages mythologiques. Sur un mont qui surplombe les Thermopyles, Simonide de Céos a gravé sur une pierre patinée par les siècles un hommage bimillénaire aux quelques 300 spartiates, hoplites de Léonidas, qui offrirent leur vie pour assurer la victoire des Grecs sur les Perses de Xerxès : « passant, va dire à Sparte que nous sommes tous morts ici pour obéir à ses lois ». Ce qui caractérise ainsi le héros/le sacrificiel, c’est ce rapport spécial à la mort : mépris total, mieux, une anticipation du trépas ; il a par avance et de son plein gré quitté le monde des vivants auquel, en retour, il fait don d’une puissance surnaturelle.
Cependant, pareille « théologie » héroïque servit aussi de justification à toutes sortes d’exactions – croisades, guerres – ou d’idéologies mortifères y compris l’idéologie nazie. Les soldats tombés au combat étaient censés avoir péri pour « die Grösse und den Bestand von Volk, Führer und Reich », pour la grandeur et la pérennité du peuple, du Führer et du Reich. D’ailleurs, l’extrême-droite de l’Allemagne actuelle a repris ces thèmes. Le groupe de rock Varg, par exemple – le loup, dans les légendes germaniques – exalte le Heldentod, la mort du héros, dans la strophe suivante :
Die Schlacht ist unsere Ehre
Die Erde glänzt im Blutesrot
Ohne Furcht im Kampfe sterben
Das ist der wahre Heldentod
La bataille est notre honneur, la terre resplendit d’un rouge sang ; nulle crainte de mourir au combat : telle est l’authentique mort du héros.
Ce qui ne signifie nullement que tout héroïsme tende vers une quelconque exaltation morbide de ce genre. Il existe un héroïsme sain et altruiste, celui notamment d’Arnaud Beltrame ; il reste néanmoins que, d’un point de vue gramscien, une évolution des mentalités se fait jour : l’opposé absolu du culte du moi, de l’égolatrie – l’offrande de sa vie – a retrouvé ses lettres de noblesse. Flétrissure du petit « moi » qui, malgré tout, vendra chèrement sa peau.
Les beaux jours de l’hédonisme sont loin d’être terminés…
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Commentaires (3)
Mélisande
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Mélisande
Il y a une forme de culpabilité post coloniale qui nous lie , mais la haie ne s'arrêtera pas et il faut défendre notre démocratie !
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Jean-Francois Vincent
Quant aux musulmans en général, s’il n’est pas possible de leur demander de se justifier a priori pour se dédouaner d’un soupçon de principe qui ressemblerait alors à de la discrimination, il n’en reste pas moins que nier tout lien entre islamisme et Islam relève de l’aveuglement.
Dans les Livres des trois religions monothéistes, l’on peut trouver des ferments de violence. Le problème spécifique de l’Islam est d’avoir ignoré, pour des raisons à la fois historiques et géographiques, la modernité (renaissance, Lumière, révolution industrielle) et, en conséquence, le relativisme qui va avec. Religion du salut – comme les deux autres – elle conserve, à la différence de ces dernières, un absolutisme doctrinal qui peut – sans pour autant que ce soit une fatalité – conduire au fanatisme
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