Le désir de conversion, Catherine Chalier

Philosophe catholique convertie au judaïsme, Catherine Chalier est bien placée pour nous analyser l’élan de conversion. Ce travail nous paraît salutaire ne serait-ce que pour nous épargner les vaines polémiques nées des conversions au christianisme, qui entretiennent souvent sinon constamment une animosité stérile entre les deux communautés, juive et chrétienne, comme à l’occasion de la conversion de Bergson.
Catherine Chalier aborde cette question sous l’angle de la réflexion philosophique, et s’en tire magistralement. Elle lui attribue un « double aspect philosophique et religieux », mais elle reconnaît que toute conversion ne nécessite pas obligatoirement que l’on soit « enclin à la spéculation ». Etant entendu que « la quête philosophique de la vérité ne se laisse pas aisément congédier sous prétexte de religion ».
Avant de définir les formes juive et chrétienne de la conversion, l’auteur examine sa forme philosophique, qu’elle qualifie de retournement. La contemplation de la « pleine clarté de la vérité » demande au préalable de se détourner de son style de vie, afin de ne plus rester « somnolent ou satisfait » à l’approche de la vérité.
« L’âme humaine – parce qu’humaine – a une parenté d’essence avec la vérité ; qu’elle soit oubliée par beaucoup n’y change rien ».
L’allégorie platonicienne de la Caverne souligne déjà « la violence et la douleur qu’entraînent la libération des chaînes et le retournement de l’âme vers la vérité ». Ainsi la recherche philosophique de la vérité implique bien « un double mouvement, se détourner et se retourner ».
Avec Plotin les choses sont plus nuancées. Il recommande de ne pas « mépriser le monde sensible », mais de tenter de vivre et retrouver en soi « la simplicité du Principe à la source de toute réalité ». Cela est possible parce que « l’âme humaine n’est jamais entièrement captive du monde sensible, une partie d’elle-même, la meilleure, demeurant toujours dans le monde spirituel ». Mieux encore, le retournement dépend de la certitude que l’homme n’est pas jeté dans un monde « de solitude ontologique » sans aucune possibilité de percevoir « la moindre étincelle de bien ou de lumière ». Bien au contraire, Plotin dit que « l’âme ne pourrait voir le beau, sans être devenue belle ».
Après ce préambule philosophique, Catherine Chalier aborde la conversion juive, ou techouva qui est avant tout « une réponse à un appel, comme retour à un point dont on s’est écarté », puis un repentir ensuite. Ceci « implique une nouvelle vie, une vie libérée, une vie sous le sceau de l’alliance avec Dieu, mais une vie sur cette terre, avec autrui, au cœur d’une histoire souvent confuse et sans espoir immédiatement apparent ». Cette conversion exige donc une solidarité exemplaire avec ses semblables. « Le monde tout entier est en attente de rédemption ». Ainsi, se convertir ne recouvre pas seulement « un repentir moral » car « celui qui se convertit ne le fait pas pour se faire pardonner telle ou telle faute morale, mais pour des raisons qui tiennent à la signification profonde qu’il donne à son existence ».
Alors quelle différence avec la conversion chrétienne, qu’elle désigne par le vocable métanoia ? Se convertir serait « oser descendre en soi, jusqu’à retenir son souffle, comme quand on se trouve au fond de l’eau, avant de renaître ensuite en respirant autrement, librement, au rythme d’une parole entendue comme à soi adressée. La transcendance du Dieu biblique – qui a créé l’homme à Son image et qui S’est révélé par Ses paroles (judaïsme) et par son Fils (christianisme) – donne toute sa radicalité à cette descente dans les eaux profondes de soi-même ». La différence essentielle entre la techouva et la métanoia tient, dit l’auteur, dans l’apparition d’un médiateur, le Christ, sans lequel aucune conversion n’est possible. De plus, toute conversion passe pour le chrétien « par un sentiment de sa propre indignité », sentiment qui lui ouvre le chemin vers « une sainte humilité ».
Une fois la conversion analysée sous ses différentes formes, philosophique et religieuses (religions du Livre sans l’islam) Catherine Chalier nous expose l’itinéraire, souvent tragique, de conversion de nombreux penseurs. Franz Rosenzweig, Simone Weil, Thomas Merton, Etty Hillesum, et Henri Bergson évidemment, dont la conversion au catholicisme, aussi éclatante qu’elle fût, était contrebalancée par le désir, non moins éclatant, de rester avec les persécutés. Dès 1937 il écrit dans son testament : « Je me serais converti, si je n’avais pas vu se préparer depuis des années la formidable vague d’antisémitisme qui va déferler sur le monde. J’ai voulu rester parmi ceux qui seront demain des persécutés ».
Jean Le Mosellan
Le désir de conversion, Catherine Chalier, Editions du Seuil 2011, 290 p., 19€
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Commentaires (12)
alain jugnon
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eva talineau
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Yossi Malka
sauf que trop de sucre donne le diabète .
Bravo , ne changez pas , c'est ce qui fait la différence entre torchons et serviettes.
Respectueusement .
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Jean Le Mosellan
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alain jugnon
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Jean Le Mosellan
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Jean Le Mosellan
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alain jugnon
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Yossi Malka
La téchouva ne concerne que les juifs éloignés du culte qui reviennent vers la religion .
La conversion c'est le guiyour qui vient de la racine guer=étranger : c'est l'acte par lequel un étranger embrasse le Judaïsme .
Il serait intéressant de demander à l'auteur , pour quelle raison le choix du mot téchouva plutôt que guiyour.
Merci pour ce résumé qui nous rappelle le parcours spirituel et philosophique d'illustres personnages.
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Jean Le Mosellan
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Jean-François Vincent
Pour ce qui est de la conversion au Judaïsme, il me semble manquer – mais je n’ai pas lu le livre ! – un élément capital : la Thorah. L’étude de la Thorah (de la Loi écrite comme de la Loi orale) est l’essence même du Judaïsme : tout candidat à la conversion doit accepter le « joug de la Thorah ». Celle-ci préexistait au monde et Hashem s’en est servi comme d’un plan pour créer ce qui est (Berechit Rabba). Tout futur converti est donc un exégète en puissance.
Merci, Jean, de cette superbe présentation d’un livre dont la thématique renvoie à un questionnement passionnant : comment, sur quelles bases choisit-on une religion ?
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Jean Le Mosellan
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