Actualité 

Emmanuel Macron et les pièges du multiculturalisme revanchard

Tout commença par la remise, ce mois-ci, par Jean-Louis Borloo à Emmanuel Macron d’un imposant rapport sur les banlieues. Rappel accablant : « Des grands ensembles construits rapidement, tous sur le même modèle, ont accueilli une immigration de travail transformée en immigration familiale. Pour cette France tout est dur. Trop d’argent aurait été versé pour les quartiers ? Faux ! Dans les quartiers populaires, les communes ont plus de besoins mais moins de ressources (…) ils doivent bénéficier d’une attention particulière ». Chiffrage du projet : au bas mot, 48 milliards d’euros ; un tonneau des Danaïdes qui a déjà englouti des fortunes pour des résultats sinon nuls du moins négligeables. Le président – on le comprend – a dit non. Mais ce qui a suscité la controverse, ce fut la manière dont il a dit non : « Que deux mâles blancs ne vivant pas dans ces quartiers s’échangent l’un un rapport, l’autre disant “on m’a remis un plan”… Ce n’est pas vrai. Cela ne marche plus comme ça ». « Mâles blancs ». Le propos choque hypocritement Marine Le Pen : « Je trouve extrêmement choquant que #Macron évoque un argument racial digne des “Indigènes de la République”, en délégitimant toute solution pour les banlieues qui émanerait de “mâles blancs” ». En fait, EM est tombé dans le piège de ce que Mathieu Bock-Côté, sociologue québécois de tendance souverainiste, nomme « l’extrême gauche racialiste américaine ». Extrême gauche ? Pas si sûr, Grayson Perry, journaliste à la New Republic , organe de presse simplement qualifié de « liberal » (= de gauche) n’hésitait pas à écrire, en 2014 : « il faut détrôner l’homme blanc, hétéro et bourgeois ». En France le PIR – le bien nommé vu son slogan : « Le pir est avenir ! » – le Parti des Indigènes de la République, reproduisait en toute tranquillité sur son site web, le blog de l’un de ses membres, Houria Bouteldja, sur le même sujet : « Aussi douloureux que cela puisse être ressenti par les écorchés du drapeau et les thuriféraires d’une France éternelle et gauloise, nous transformons la France. En d’autres termes, elle aussi, s’intègre à nous. Certes en y mettant le temps, mais nul besoin d’une conspiration fomentée par les masses arabo-négro-berbères, ni d’un quelconque complot ourdi par des cellules dormantes de barbus-le-couteau-entre-les-dents. La France ne sera plus jamais comme dans les films de Fernandel. Notre simple existence, doublée d’un poids démographique relatif (1 pour 6) africanise, arabise, berbérise, créolise, islamise, noirise, la fille aînée de l’Église, jadis blanche et immaculée, aussi sûrement que le sac et le ressac des flots polissent et repolissent les blocs de granit aux prétentions d’éternité » (19 septembre 2009). Notons, au passage, le néologisme – sans doute involontairement analphabète – « noirise » au lieu de « noircit »… Intéressant programme. Les militants de cette organisation, illustration emblématique de ce que Gilles Kepel appelle le « ressac rétro-colonial » considèrent, en effet, que « les descendants des populations colonisées ne sont pas acceptés comme des citoyens à part entière ». Sans doute, mais la conclusion qu’en tire Houria Bouteldja stupéfie : aux « non divers » (les « blocs de granit aux prétentions d’éternité ») incombe l’obligation de « s’intégrer » à la « diversité ». Bref, l’assimilation, mais à l’envers… Un tel discours diffuse, s’infiltre dans une partie significative de la gauche. Ainsi sur Mediapart, les « invités de Mediapart », groupe anonyme mais très présent sur le site, déploraient que « fondamentalement, la gauche “de gauche”, en France, qui reste majoritairement blanche (mais aussi mâle et hétéro), n’a toujours pas fait sa révolution multiculturelle ». Emmanuel Macron a-t-il voulu « multiculturaliser » son propos pour faire passer la pilule amère de son – très légitime – « non » à la gabegie proposée par le rapport Borloo ? C’était sans doute une malheureuse opération de « com », révélatrice cependant d’un air du temps, d’une aspiration non dissimulée des « quartiers » à la revanche. Si l’« assimilation », version IIIème république, celle de la « plus grande France » de l’exposition coloniale de 1931, était un lit de Procuste sur lequel tous – bon an, mal an – devaient se coucher ; son contraire – l’acculturation forcée aux us et coutumes ultramarins – n’en est pas moins révoltant. L’identité de tous – celle des « divers », comme celle des « non divers » – mérite le respect, sauf pour beaucoup, à se résigner, comme le dit Alain Finkielkraut, à vivre une « identité malheureuse ».

Vous pourriez aimer lire: