Hallyday, une passion française…
Il ruisselait, sous des éclairages qui auraient tué plus d’un jeune, au milieu d’un son – impeccable, mais pas fait pour « nos » âges, et le sien… Hallyday, en concert. Pile 70 ans. Seigneur ! On se dit : et si on regardait un peu, en « souvenirs, souvenirs » de nos 15 ans, là-bas, à l’autre bout de l’Histoire, quand on avait des franges Beatles, collées de laque, un début de mini – le genre Cacharel, le lycée – de filles –, tous les jours, en 4ème, ou autour… Les 45 tours (les 33, quand on avait les sous) étaient colorés-pétants, comme les vieux films américains. On sortait à peine de nos poupées, pour embarquer dans la foire aux idoles. Le beau blond cranté du cheveu, habitait mon troupeau. Qu’est-ce qu’on lui trouvait, à Johnny ? Quelle question ! Qu’il était beau. Voyons ! pile comme il fallait pour notre âge de homard boutonneux attendant la mue (les photos qui défilaient au concert, d’ailleurs, le confirment), qu’il chantait – trop fort, disaient nos parents –, et qu’on en parlait sans fin avec les copines, collectionnant les « posters » de « Salut les cop ». Et puis, le temps aidant, on a bifurqué vers d’autres choix culturels, comme on dit dans Libé. Musique classique, ici, Rolling Stones, là. On a vibré ailleurs : Brel, Ferrat, et Goldman. Bref, on est parti, et on souriait avec condescendance attristée quand un sujet au J.T. nous montrait quelque pitre déguisé à pas d’âge, qui suivait encore le chapiteau de Johnny. Pourtant, un reste d’honnêteté intellectuelle nous faisait reconnaître qu’il valait tous les rites de passage générationnels, le Jean-Philippe ; on ne pouvait que s’insurger devant la marionnette des Guignols « ah que… », déplorable machine à démolir. Hallyday, un imbécile ? Avec la carrière qu’il faisait ! On sentait l’erreur. Tous les sociologues vous le diront : c’est pas un chanteur, c’est un lien social, un marqueur traversant les générations et le siècle ; un curieux trait d’union de Sylvie à Nathalie (avait mis ses lunettes dans les tribunes), jusqu’à la gamine Laetitia, toute en jeune blondeur de savonnette. C’est pas un simple chanteur, mais c’est peut-être bien un modèle de saltimbanque qui sait faire ses tours, un artiste, finalement. On l’a regardé – plus de 2 heures durant –, attendant l’inéluctable malaise, guettant sur le visage aux rides maquillées, derrière le regard atrocement revenu de pas mal de choses, l’effondrement ; à tout le moins, le départ précipité en coulisses. On tendait l’oreille pour deviner dans une voix qui se casserait un brin, le symptôme – presque réconfortant : et, oui, il n’a plus l’âge ! Et, rien n’est venu ! Il était même de mieux en mieux, comme un moteur de Porsche qui se réchauffe à la vitesse. La jambe dansante ; impressionnante ; par moments, le même sourire qu’à vingt ans ; le corps au diapason de ses tubes – peut-être, dans le dernier costume, un brin de mini bedaine ; un soupçon, mais j’ai le regard trop critique. Il a tenu, debout, de chanson de crooner bien balancée au vieux rock qui n’a pas pris une croche de trop. Mazette ! On avait dit : je jette un œil, un quart d’heure, une friandise ! Mais voilà qu’on s’est assis ; on a accompagné le mouvement ; tout juste si on a pas dansé… de Tennessee à Gabrielle , en passant par Toute la musique que j’aime avec Eddy, le grand. Un moment presque émouvant ; une époque du concert, juste pour nous, ses vieux contemporains ; il a chanté, assis, sobre guitare non amplifiée, les chansons de nos « jeunes années » – pas celle-là, du reste – Retiens la nuit , Laisse les filles , un « Elvis » en anglais… mais, pas Excuse-moi partenaire , ni Le Pénitencier ; ces sujets de débats à n’en plus finir avec nos copains garçons qui en tenaient pour « l’original » et n’aimaient pas Johnny (qu’on disait, nous). Pourtant, la voix est là, d’un bout à l’autre, forte, juste – quoi qu’ait essayé d’en dire, mon mélomane de mari ; particulière, unique en son genre. Pas une belle voix, comme Montand ou Ferrat ; une voix-Johnny, faite pour chanter du rock, qui continue, se bonifie même, prend de la rondeur… à l’écouter, ainsi, en live, on se prend à penser que c’est bien d’un très bon cru qu’il s’agit, soixante-dix ans, ou pas. La salle – des convertis de tous âges, mélangés – valait son pesant, bien que de cacahouètes, il n’en circulait guère. Pas mal de crânes rasés, beaucoup de tatouages ; du populaire, voire populiste – un meeting Le Pen ? Je lui fais peut-être un peu injure, là ? Des peoples de Droite, en tous cas, de Carla au dernier converti – Bruel. Un Djamel qui le trouvait génial (converti fraîchement de Gauche, quant à lui). Un chaud mélange où on supposait se côtoyer la maisonnée, de la grand-mère qui veut rester jeune, à la fillette qui dit justement « avoir connu Joooohnny, l’encore beau, chez Mamie, quand elle était petite ». Vous avouerai-je, quant à moi, le choc que j’ai vécu ; jeune professeur débutant sa carrière sous le ciel bleu du Nord, et circulant dans les allées d’une classe de 3ème, pour tomber sur le cahier de texte – d’une petite, dont je revois, toutes ces années après, le franc sourire – illustré de photos du Johnny cher à mon adolescence. A la question : pourquoi es-tu fan de ce chanteur qui doit avoir l’âge de tes parents ? Elle avait eu ce mot, banal, émouvant : « Johnny ! Il n’a pas d’âge, il chante ! ». Avait raison, la fille, qui, ce soir a quel âge ? Est-elle quelque part, assise sur un autre canapé que sa prof, d’il y a tellement longtemps ? Et les deux de se trémousser sur cet entame de Gabrielle qui fait hurler les anti ! « Gabrielle… tu brûles mon esprit ; ton amour étrangle ma vie ». Avec, j’espère, le rire joyeux du souvenir d’enfance ; un salut amical, mais aussi, la porte vers l’ailleurs. Quand je vous dis : une drôle de passion, au final, Hallyday. N’a pas d’âge ; il chante…