Che Bordello !
Oui, quel bordel (ce fut le gros titre de Il Tempo , sic !) que ces élections italiennes ! Aucune majorité claire ne s’en est dégagée… 229 sièges pour le M5S (Movimento Cinque Stelle), 124 sièges pour la Lega, 104 sièges pour Forza Italia (Berlusconi), 33 sièges pour Fratelli d’Italia et enfin 112 sièges pour la coalition de centre gauche emmenée par le Partito Democratico (parti de Matteo Renzi, avatar de l’aile droite de feu le PCI et de l’aile gauche de feu la Democrazia Cristiana) qui file le mauvais coton – à la Titanic – du PS français. Quelles sont alors, sur le plan politique, les forces en présence ? En premier lieu, l’on trouve le grand vainqueur de la consultation, le Cinque Stelle (5 étoiles), créé par le Coluche italien, Peppe Grillo, comique familier des shows télévisés, jadis primé pour une publicité qu’il tourna pour un pot de yaourt… M5S pratique une sorte de « et, et » transalpin ; mais au lieu d’être « et le centre gauche, et le centre droit », comme dans la France macronienne, ce serait plutôt « et les Insoumis, et le Front National ». Même populisme, même « dégagisme », « nous voulons tourner la page » a déclaré son nouveau leader, Luigi di Maio. Côté gauche, un « revenu de citoyenneté » universel de 780 euros par mois, à la Benoit Hamon ; et côté droite, un parti pris anti-migrants, « maintenant il est temps de se protéger, de rapatrier tout de suite les immigrés illégaux » avait écrit, il y a quelques années, Peppe Grillo. Puis, en numéro deux, émerge la Lega, ex-Lega del Nord, parti anciennement séparatiste qui voulait une sécession de la Lombardie-Vénétie, le cœur riche et industriel de la péninsule, afin de faire advenir une « Padania libera », une « Padanie » libérée de ce Mezzogiorno, de ce sud pouilleux, si méprisé par le chef actuel de la formation, Matteo Salvini. Celui-ci, il n’y a pas si longtemps, avait lâché à l’endroit des habitants de Naples, en parlant à un compère : « Sens-moi cette puanteur ! Les chiens s’enfuient, c’est que les napolitains arrivent ! ». Désormais, changement de cap : on troque le racisme anti-méridionaux pour un racisme plus classique, anti-arabes et surtout anti-noirs. La nouvelle Lega se veut à présent nationaliste italienne, « Prima gli Italiani ! », Les Italiens d’abord ! Haro donc sur les migrants. « Il faut faire un ménage de masse, rue par rue, quartier par quartier » a vociféré Salvini, pendant la campagne. Le 3 février dernier, un drame a précipité l’ascension de la Lega dans les sondages. A Macerata, sur la côte adriatique, un forcené, Luca Traini, a foncé en voiture sur un groupe de réfugiés du Nigéria et du Mali, en blessant grièvement plusieurs, et ce, en guise de représailles contre Innocent Oseghale, un Nigérien accusé d’avoir assassiné une jeune femme. S’ensuivirent des manifestations monstres, à la fois des pros et des antis Traini. Conclusion de Matteo Salvini : « l’immigration est l’instigatrice de la violence ». En troisième position, loin derrière, parvient le grand perdant – avec Renzi – du scrutin, la Forza Italia de Silvio Berlusconi, qui n’a pas réussi le retour qu’il espérait ; et tout à fait en queue de la droite, les Fratelli d’Italia (Frères d’Italie), ex-Allianza Nazionale de Gianfranco Fini, qui lui-même avait « défascisé » avec succès (à la différence de Marine Le Pen) le vieux Movimento Soziale Italiano du très mussolinien Giorgio Almirante, conseiller de Jean-Marie Le Pen, lors de la fondation du FN, lequel adopta le sigle du MSI, la fameuse flamme tricolore. Dans ce chaos électoral, quelles sont les options gouvernementales ? « Il governo è un rebus », titrait lundi dernier le Corriere della Sera. Une coalition M5S/PD, sur une ligne populiste de gauche, serait, à la rigueur, concevable ; mais Luigi di Maio a prévenu : « non avrete i nostri voti ! », vous n’aurez pas nos votes ! a-t-il lancé à Renzi. Alors ? Un ministère M5S/Lega ? Terrible perspective d’une alliance populo-xénophobe… l’on n’ose même pas y songer. Restent – scénario le plus vraisemblable – des pourparlers, des conciliabules de couloir, des « combinazioni » très italiennes. Après Pâques, le président de la république, Sergio Mattarella, conférera avec les présidents des deux chambres en vue de désigner le futur président du conseil, un scénario qui fleure bon la IVème bien de chez nous… L’Italie de 2018 rejoindra-t-elle, au total, l’internationale populo-nationaliste mitteleuropéenne ? Le tristement célèbre groupe de Visegrad, regroupant la Pologne de Jaroslaw Karzynski, la Hongrie de Viktor Orbàn, et peut-être demain, l’Autriche du FPÖ de Heinz-Christian Straiche ? Déjà, le Cinque Stelle siège, au parlement européen, dans le groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe, en compagnie de l’UKIP de Nigel Farage, le champion du Brexit, et du député de l’AfD (Alternative für Deutschland), l’extrême droite montante d’Outre-Rhin. En tout cas, Marine Le Pen se frotte les mains ; soutien inconditionnel de la Lega, elle rêve d’une coalition avec eux à Strasbourg. Les droites « nationales » et identitaires un peu partout se dressent, proclamant une xénophobie décomplexée qui jette, sans remords, par-dessus bord les idéaux humanistes de la gauche et du centre. Le pape François, prêchant dans le désert l’altruisme à l’égard des migrants, se trouve bien isolé à Rome. Les Italiens le jugent même communiste…