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Courants d’air

Si l’on en croit les informations qui circulent dans la presse, la détermination du pape François à mériter le nom qu’il a choisi irrite certains catholiques. Prôner l’humilité, renoncer à certaines démonstrations ostentatoires est certes cohérent avec le message du Christ, dont le successeur de Saint-Pierre est garant, mais la tradition et les traditionnalistes sont attachés à une certaine « distanciation » qui s’accorde mal avec l’usage intempestif d’un compte Twitter ou une initiative telle que d’aller laver les pieds de repris de justice dans leur prison. Or, à l’opposé, des catholiques plus progressistes, plus « à gauche » – j’en compte parmi mes amis proches et c’est pour en avoir discuté avec l’un d’eux que je m’autorise cette incursion dans un domaine qui n’est pas le mien – fonderaient des espérances sur ces signes : le choix du nom de Saint-François, la simplicité de ton, les gestes médiatiques… Médiatique, le mot est lâché. Toute révérence gardée, François d’Assise était aussi un grand manipulateur de média. N’a-t-il pas commencé sa carrière de saint par un strip-tease public ? Dieu merci, notre nouveau pape n’est pas allé jusque-là ; il n’en a plus l’âge. Mais tout de même, il y aurait bien dans sa façon de bousculer les traditions quelque chose d’assez prometteur. Aurait-il compris qu’il ne suffit plus de prononcer de beaux discours qui condamnent la guerre sans disposer du moindre moyen d’y mettre fin, ni de dénoncer les méfaits de l’argent-roi entouré des ors et des pompes vaticanes, ni d’aller dire des messes aux quatre coins du monde dans sa voiture-vitrine blindée ? Le saint qui parlait aux oiseaux lui aurait-il soufflé qu’il faut trouver des arguments plus médiatiques pour mériter de porter la parole divine ? A-t-il compris qu’on ne le tiendrait pas quitte de n’avoir pris que le nom de ce fils à papa qui a tout laissé derrière lui pour vivre en accord avec sa foi, avec la création et avec les plus déshérités ? Si j’ai bien assimilé les explications de cet ami, l’église est traversée par des courants très opposés ; elle l’a toujours été. Ainsi lorsqu’il a fallu entériner les décisions prises par le concile en faveur de la contraception, après qu’il eut été statué sur la distinction à faire entre procréation et relations sexuelles du couple, le plaisir étant reconnu comme un élément positif de la vie, Paul VI, après avoir tergiversé, s’est rangé à l’avis du courant conservateur qui prédisait un schisme si une telle « révolution », voulue par Jean XXIII et les pères conciliaires, était concédée à l’évolution des mœurs, de la science et des consciences. Le souci de maintenir la cohésion de l’église contre vents et marées, ou du moins de l’afficher, semble avoir inhibé tout élan novateur depuis le traumatisme de la Réforme. Ainsi encore, dans le débat de société autour du mariage pour tous, les positions seraient loin d’être unanimes et certaines déclarations intempestives d’évêques connus pour leurs tendances conservatrices sont jugées pour le moins maladroites par d’autres. Si l’opposition au projet du gouvernement français semble bien réunir une majorité de croyants des trois religions monothéistes, certains prêtres, certains évêques seraient assez enclins à proposer d’autres solutions telles que l’instauration d’un contrat civil unique dissocié du sacrement du mariage religieux. Mais au nom de l’unité de l’Eglise, on se tait et on laisse gesticuler sur le devant de la scène une dame dont le choix du pseudonyme, moins bien inspiré que celui de l’actuel Evêque de Rome, témoigne d’une autodérision que l’on aimerait retrouver dans ses mots et ses actes. Dans ce cas précis, la réserve relative de l’Eglise face à l’agitation médiatique – on ne voit guère de prélats dans les manifestations – peut être considérée comme prudemment diplomatique compte tenu de l’évolution sans doute inexorable de la question dans de nombreux pays de tradition chrétienne. Mais cette évolution, que l’église réprouve plus qu’elle ne la combat, ne doit pas cacher un autre phénomène qu’elle n’approuve pas mais ne combat guère. En Amérique du Nord principalement, des millions de croyants qui se réclament du christianisme ont développé des mouvements religieux ou sectaires que l’on regroupe sous le terme générique de créationnisme et pour lesquels la bible doit être lue comme la parole de Dieu et ne peut souffrir aucune interprétation de nature à en relativiser la portée. Que l’on enseigne à des enfants du vingt-et-unième siècle que le monde a été créé en six jours il y a six mille ans puisque c’est écrit dans la bible, que l’on construise des écoles pour y enseigner ces « vérités » à l’exclusion de toute autre et des musées où l’on prétend en exposer les « preuves scientifiques », me paraît autant de crimes graves que l’on aimerait voir l’Eglise condamner énergiquement. Est-il si dangereux pour l’unité de l’Eglise de faire entendre que les textes sacrés doivent être lus dans leur portée symbolique et non au pied de la lettre ? On m’objectera que ces créationnistes et autres tenants du « dessein intelligent » ne sont pas catholiques et que l’Eglise de Rome prend soin de publier sa position, ou plutôt les évolutions de sa position sur ces questions, de la façon la plus officielle. Après diverses controverses, il semble désormais acquis que la vraie foi n’est pas ennemie de la science et qu’il convient de s’en tenir à la force symbolique des textes sacrés qui plongent leurs racines dans les mythes fondateurs de nos civilisations, et contribuent ainsi à enrichir nos cultures. Le problème est que publier des encycliques et des bulles est certes louable mais ne semble plus tout à fait suffisant à l’ère d’Internet. Dans le livre de Gérald Bronner dont j’ai tenté récemment une rapide recension (RDT 30 mars), l’auteur explique combien il est préjudiciable à la manifestation de la vérité scientifique que les savants ne prennent pas assez la peine de contrecarrer sur Internet la prolifération d’informations fausses, de contre-vérités et de rumeurs qui s’y répandent impunément. Si les docteurs de l’Eglise se réfugient derrière la peur d’afficher des dissensions en soulevant des controverses et préfèrent argumenter entre eux sur des points d’exégèse parfaitement abscons pour le commun des mortels, ils font également le jeu des obscurantismes auxquels les technologies modernes offrent des moyens inédits de prospérer. Tant qu’il s’agit d’enseigner à des petits Américains des théories moyenâgeuses, on peut penser qu’il n’y a pas mort d’homme. Mais ces mouvements s’opposent ainsi, toujours au nom d’une lecture littérale de la bible, à des progrès sociaux urgents ou à des réformes économiques nécessaires dont un président qui a prêté serment sur la même bible voudrait doter son pays. Et s’il ne s’agissait que du christianisme ! Je ne sais pas si on peut trouver dans le Coran une sourate préconisant de couper la main d’un enfant soupçonné de vol ou la lapidation à mort d’une femme adultère. À supposer que ces commandements soient explicitement ou implicitement la transcription de la parole de Dieu dictée au Prophète, ce qui me paraîtrait être le fait d’un dieu qui mériterait bien peu la majuscule dont il est convenu qu’on doit l’honorer, n’y a-t-il pas parmi les docteurs de l’islam quelque docte et sage imam capable de faire entendre que ce qui n’a sans doute jamais été que des injonctions symboliques pouvait à la rigueur avoir valeur de loi civile au septième siècle mais ne peut en aucun cas être appliqué au pied de la lettre de nos jours ? N’y aura-t-il pas un mouvement de protestation interne à l’islam assez fort pour dénoncer la barbarie et l’anachronisme de ces pratiques que l’immense majorité des musulmans considèrent comme d’un autre âge ? Faut-il que les religieux de toute obédience s’entendent pour laisser préjuger que croyance et connaissance sont irrémédiablement opposées, que foi et obscurantisme sont consubstantiellement liés ? Je ne suis pas absolument certain que le pape François soit un lecteur assidu de Reflets du Temps ni des essais sociologiques qui y sont recommandés, mais, dût-on me taxer d’angélisme, je joins très volontiers ma voix d’athée à celle de mes amis croyants qui pensent que Sa Sainteté n’a pas besoin de ces saines lectures pour comprendre qu’il est temps de montrer un autre visage de l’Eglise et qui espèrent en sa longue expérience, en sa formation et en son charisme pour trouver les moyens médiatiques les plus efficaces pour y parvenir. Le pape Jean XXIII disait « Ouvrons les fenêtres de l’Eglise sur le monde et au monde ». Ses successeurs les ont plutôt refermées. Le pape François ne semble pas trop craindre les courants d’air, c’est une chance s’il veut faire voler un peu la poussière et laisser circuler sur le monde un souffle plus pur.

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