Féminisme vs contre-féminisme

Depuis l’affaire Harvey, la chasse est ouverte : haro sur les libidineux incontinents, les mâles prédateurs, les machistes aux mains baladeuses, les « frotteurs » en rut dans le métro aux heures de pointe (c’est le cas de le dire !)… Aux Etats-Unis, les Golden Globes de cette année, sorte de répétition générale des Oscars – étendue à la télévision – se sont transformés en grand-messe du néo-féminisme revanchard. L’assistance toute vêtue de noir a participé à la célébration présidée par la milliardaire noire, Oprah Winfrey, richissime animatrice d’un talk show et possible candidate démocrate aux élections présidentielles de 2020. Celle-ci a été claire : « Pendant trop longtemps les femmes n’ont pas été entendues ou crues lorsqu’elles osaient dire la vérité au sujet des hommes puissants ; mais ce temps est fini, je veux que toutes les filles qui me regardent actuellement sachent qu’une nouvelle aube se profile à l’horizon, quand plus personne ne dira encore “Me Too” ». #Me Too, ce réseau social misandre, équivalent américain – en moins vulgaire toutefois – du très/trop français #Balance ton porc. Comme toujours, l’action suscite une ré-action. L’initiative « réactionnaire » vint d’une tribune publiée dans Le Monde en date du 9 janvier dernier, signée par des personnalités très diverses, venues du monde du spectacle (Catherine Deneuve) ou du journalisme (Elisabeth Lévy). Le texte parle d’un « climat de société totalitaire », d’une « vague purificatoire » : « Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste (…), de fait, #Me Too a entraîné dans la presse et sur les  réseaux sociaux  une campagne de délations et de mises en accusation publiques d’individus qui, sans qu’on leur laisse la possibilité ni de  répondre  ni de se  défendre , ont été mis exactement sur le même plan que des agresseurs sexuels (…). Cette fièvre à  envoyer  les « porcs » à l’abattoir, loin d’aider les femmes à s’autonomiser, sert en réalité les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux, des pires réactionnaires et de ceux qui estiment, au nom d’une conception substantielle du bien et de la morale victorienne qui va avec, que les femmes sont des êtres “à part” réclamant d’être protégées ». « Liberté d’importuner », disent les signataires à la décharge des hommes un peu trop empressés. On pense ainsi à Choderlos de Laclos, à un Valmont songeant un instant à prendre de force la présidente de Tourvelle, archétype de l’art poliorcétique de la séduction patriarcale… « En se présentant comme un appel à la vigilance et une entreprise de libération morale, cette tribune ne concourt qu’à une chose : réaffirmer le pouvoir des dominants, en sonnant un rappel à l’ordre conservateur », vitupère, en réponse, une pétition de 200 féministes sur Mediapart. Asia Argento, une des responsables du mouvement #Me Too outre-Atlantique, surenchérit : « Catherine Deneuve et d’autres femmes françaises racontent au monde comment leur misogynie intériorisée les a lobotomisées au point de non retour ». Bref, un grand bond en arrière, une régression au stade de l’Ancien Régime. Joan Scott, professeur à l’université de Princeton, n’hésite pas à écrire dans le New York Times  : « La culture politique française a longtemps toléré un comportement comme celui de Dominique Strauss-Kahn, l’expliquant comme un trait de caractère national – ce que l’historienne Mona Ozouf a appelé “l’art de la séduction” (…). Depuis le bicentenaire de la Révolution française, en 1989, on a beaucoup écrit sur “l’art de la séduction” des Français. Avec des origines remontant aux pratiques aristocratiques de l’époque de la monarchieabsolue et de Louis XIV, l’idée de ce que Philippe Raynaud appelle “une forme particulière d’égalité” s’est transmise de génération en génération pour devenir une composante importante du caractère national ». Au-delà des fantasmes, que dit le droit ? Il dit que le harcèlement sexuel est un délit « subjectif », c’est-à-dire qu’il ne repose sur aucun élément matériel, mais uniquement sur un élément psychologique (art. 222-33 du Code Pénal) : « Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». Que signifient, au juste, des termes tels que « dégradant » ou « humiliant » ? Grammatici certant ! Cette imprécision de l’incrimination juridique appellerait alors à une législation nouvelle, d’ailleurs en préparation. Un projet de loi, sous la houlette de Marlène Schiappa, Secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes, viserait – entre autres – les « frotteurs » métropolitains, en définissant un délit « d’outrage sexuel public ». Ce qui laisse un tantinet rêveur… Imagine-t-on, en effet, une femme, outragée par la pression d’un sexe masculin en érection, tirer le signal d’alarme d’un wagon, en pleine cohue, afin de faire venir un gardien de la paix pour enregistrer la plainte ? Trop de tolérance passée débouche sur une intolérance future. L’omerta goguenarde fermant les yeux sur des comportements sexistes ou offensants, « banals » a déclenché en retour une vague incontestablement néo-puritaine. La drague comportera désormais une prise de risque. Les importuns potentiels hésiteront à faire des avances de peur d’être poursuivis. Mais les femmes – fières d’avoir arraché de force un respect nouveau – ne risquent-elles pas, au fond, de devenir des intouchables… laissées pour compte ?

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