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IFRI, Politique étrangère, été 2017 ; la chasse aux idées reçues

Inattendu, peut-être, ce regard sur la revue de PE de l’IFRI, cet été, mais bien réel. Que d’idées reçues, en effet, toutes faites et boulonnées, dans nos représentations, et en géopolitique, pas moins qu’ailleurs ! Le propre des chercheurs étant de les désigner et de tenter de les redresser. Dans ce numéro, la pêche est particulièrement bonne pour les lieux où stagnent les idées reçues, et réjouissants, leur déboulonnage et, sans doute, la saine déstabilisation qui suit, seule capable de faire avancer notre regard sur le monde, première mission que se donne l’IFRI. Le sujet principal, ASEAN ; 50 ans d’une expérience singulière , est un nid d’idées reçues, notamment par sa situation périphérique dans les informations quotidiennes que nous utilisons, et, par ces monceaux d’ignorance, ces lacunes, et autres trous d’ombre, dans « notre » géopolitique personnelle, se révélant reléguée à un « quelque chose d’uni, aux bords de la grande Chine ». Fondée en 1967, l’ASEAN, allie Indonésie, Malaisie, Singapour, Philippines, Thaïlande, Brunei, Viet Nam, Laos, Birmanie, Cambodge, unis en cercles progressifs. Union d’Asie du sud-est, à la fois comparable, au premier regard du moins, à notre Union Européenne, et tellement différente – parallèle pédagogique énoncé dès l’introduction. On a là une marche discrète et continue, des «  procédures et institutions légères, sans gouvernement central, ni fantasme d’unification politique  » ; l’idée reçue chez nous étant – là, comme ailleurs, mais là, significativement – de penser tout à notre aulne, que nos analyses, procédures et même difficultés sont modélisables à l’infini. Or, si l’ASEAN sera demain bien obligée de marcher différemment avec l’émergence chinoise et son poids, l’IFRI rappelle à notre point de vue européen que «  le monde est tout humain, mais nous ne sommes pas toute l’humanité  ». Cinq forts articles devraient participer à « nous caler » le regard, sur cette fondamentale partie du monde. La rubrique Contrechamps s’attaque avec deux articles essentiels à l’Union européenne, particulièrement :«  Zone Euro : sous les dettes, la croissance ?  ». Crise, croissance, dettes… triptyque d’importance en matière de représentations tenaces et peut-être fallacieuses, en matière de thèse, point de vue arrêté, genre front contre front, encore davantage. Quel débat, chez nous, n’aborde pas, même aux marges, ce sujet ? Un premier article, très argumenté : «  Les politiques européennes et le futur de l’Euro  » met à mal «  l’interprétation politique dominante accusant les excès de dette publique accumulés par des pays du sud, dits indisciplinés, ayant ainsi financé leur État providence  ».Idée reçue, s’il en est, dans l’imaginaire de chacun sur les problèmes actuels d’une Europe en dérive, voire en échec. Des responsables désignés, pas vraiment loin du bouc-émissaire, toujours utile. On reconnaît dans le développement des pans entiers d’opinions politiques, partitaires, en France et en Europe. Mais, les compétences économiques de l’auteur, sa capacité pédagogique à poser les idées reçues, les décrypter avant d’avancer d’autres hypothèses étayées, donnent à cet exposé une force convaincante et armée qui manque à plus d’un débat. Le second article se pose « en face », et nous y reconnaissons là aussi l’argumentaire face B, prôné dans maints débats ; les mêmes évidemment : «  stabilité et croissance en zone euro ; les leçons de l’expérience  ». Le « retour au réel » est fortement convoqué ; «  la croissance et l’emploi ne proviennent pas des miracles de la manne répandue par les États ou des fabricants de bulles spéculatives, mais bien du travail productif, de l’épargne et de l’investissement  ». Confrontant ces deux lectures, toujours étayées, comme d’usage à PE, de références multiples et précises, faut-il dire qu’on en sort, interrogés, mieux armés face à ce temps européen qui est notre logiciel indépassable. En rubrique Actualités , chaque article est de nature à fusiller quelques idées reçues, mais c’est celui sur «  L’état islamique, l’autre menace  » qui peut paraître le plus urgent (l’autre, consacré à la Turquie, pas moins pour autant !). A la veille des défaites sur le terrain du califat, Mossoul et Raqqa, faudrait-il « souffler » et considérer Daech comme une menace derrière nous ? Outre le fait que les attentats de cet été sur le sol européen démontrent la puissance de nuisance des terroristes parfaitement capable de s’adapter à leurs défaites, mais aussi – c’est là l’argumentaire de l’article – l’hydre existe, prolifère, voire naît ailleurs dans le monde : Afrique, Asie du Sud-Est, et ceci, même en termes d’assises territoriales. Enfin, dans les recensions proposées – riche fond, qu’il serait dommage de ne pas consulter – celle consacrée aux livres «  Migrations Une nouvelle donne  »,et «  Au-delà de la crise des migrants : décentrer le regard  »,s’impose avec évidence dans cette « chasse » aux convictions toutes faites qui courent la poste en Europe, notamment, et chez nous particulièrement. Car s’il est bien un domaine florissant pour les peurs, inventions et récits arrangés, c’est bien celui des migrations, des émigrants, des bougeants venus d’ailleurs. Volent en éclats dans ces deux ouvrages les chiffres des supposées invasions, de leur permanence annoncée, des hordes familiales qui suivraient, de ces capacités d’intégration en voie de nous étouffer. Un sort est fait au passage entre les appariements dangereux et faux, du type musulmans-terroristes. Mieux, et là, le son monte dans le chamboulé des représentations, l’arrivée de migrants aurait un léger effet économique en augmentant la demande, la politique de fermeture des frontières demeure coûteuse et peu productive. Les politiques migratoires européennes sont à revoir, et aux tréfonds de nos mentalités, la vision du Droit international à reconstruire… Vous avez-dit « idées reçues » ! Que la chasse soit ouverte est toujours une bonne nouvelle pour nous tous, citoyens-lecteurs.   Revue de Politique étrangère, Ifri, été 2017, vol 82, 23 €

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