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Le migrant et les deux Europe

L’autre ne fait décidément plus recette en Europe… et cela, même si, quelques centimètres avant le précipice, le projet de Victor Orban, le Hongrois, a butté hier sur l’abstention massive (près d’1 Hongrois sur 2 n’a pas voté) avec pour conséquences la non-validation juridique de la consultation. Mais on sent bien que c’est reculer pour mieux sauter, demain n’est plus sûr. La falaise d’Etretat est pilonnée patiemment à sa base… Ce 2 octobre, en Hongrie, à l’abri de murs hérissés de barbelés, gardés par des chiens et des milices, Victor Orban voulait consolider un pouvoir largement populiste, si ce n’est fascisant, en faisant voter non à la question simpliste de son référendum :«  Voulez-vous que la Hongrie accepte des réfugiés venus de Syrie ?  »(on aura compris que la phrase est modulable à toutes autres origines de migrants). Sur le total exprimé, pas moins de 95% se sont prononcés pour ce « non ! » Le pays, à ce titre, peut devenir un modèle générique que d’autres déclineront à l’envie : ceux qui s’opposent aux « hordes » venues d’ailleurs, aux « invasions barbares », à ceux qui ne sont pas comme nous, en ça ou en ça, à l’ailleurs simplement. Ceux qui « en ont » ! Ceux que l’étrange étranger transit. Prototype de gens, de pays qui prônent la fermeture, le mur, la frontière de fer, comme seuls viatiques et programmes… Hongrie des grandes plaines où passèrent les Huns, où mugissait Gengis Khan en son temps. Unique ?? ou, malheureusement, première de cordée dans une foule de semblables ? Cohérent, en tous cas, le petit pays nageant avec les autres de l’Est en dehors du communisme, partageant avec certains voisins cette signalétique, hors du système soviétique, dont il a souffert, hésitations multiples sur les voies « démocratiques » à choisir, adhésion à l’UE, moitié pour avoir une identité, moitié pour les mannes diverses et trébuchantes. Comme ailleurs – plus qu’ailleurs – un penchant pour des pouvoirs forts en gueule, une fabrication sur le tard et à la va-vite d’un type-hongrois mitonné à l’ombre d’un récit national (lisez donc les livres d’histoire des petits), insistant sur une identité, y compris chrétienne, dont les façons de vivre ne sauraient cohabiter avec d’autres, et surtout pas des musulmans. Ce qui correspond aussi au « sentiment national » des frères polonais, actuellement. Résumons : racisme, nationalisme, lecture pour le moins originale des valeurs des Lumières droits-de-l’hommiste et du christianisme, vision lointaine et fantasmée de l’UE à laquelle ce dimanche un défi – signe d’un pouvoir dangereusement hargneux – avait été lancé ; a été bel et bien lancé. Comme un autre Brexit qui aurait sonné au soir du 2 octobre… voilà ce qui se cuisine à l’Est. Un Est dans les 28, pourtant, car, chaque pays de l’union n’a-t-il pas accepté l’obligation de recevoir et de traiter au mieux des Droits de l’homme son quota de migrants ? La Hongrie européenne, de facto, également, mais la Hongrie de Orban s’autorise autre chose – schizophrénie curieuse. Au nom du pouvoir souverain de son peuple aux opinions évidemment mouvantes, comme c’est le cas de tous les peuples, ce peuple tout d’un coup idolâtré, en capacité de s’affranchir du Droit de la collectivité à laquelle il appartient. Référendum bonapartiste à la clé, qui ficherait à la poubelle des engagements du vivre ensemble, à plusieurs. Colocation à la hongroise, particulière. Modèle futur de vie dans une Europe à plusieurs vitesses et cercles, image de moins en moins floue de ce choc à venir entre le projet collectif et les valeurs et le repli sur un souverainisme encore frétillant. Pour lors, UE dont les « diktats » passant au-dessus de la tête des peuples serait devenue insupportable – ce que dit le vote de Budapest du jour – pour ces pays nouveaux adhérents, dont on analyse sans fin chez nous la faible maturité politique, la difficulté d’accepter la dose de collectif que porte l’UE, ceci au nom de leur récente histoire et de leur besoin inextinguible de libertés. C’est d’une autre Europe que la nôtre, dont parlent – même – certains intellectuels de ces pays d’Europe Centrale – laissons de côté la prétendue « populace » propre à tous les fascismes. On y dessine une Europe ferme, arc-boutée sur sa « civilisation » chrétienne, sur des frontières moins poreuses, militairement défendues. A l’intérieur, nous tous, à l’extérieur, les autres. On se croirait revenu au fameux choc de civilisations et à ses bulles, au siège de Vienne, au XVIème siècle, face à Soliman ; un monde en morceaux bien délimités. Un univers, des mentalités qui disent bruyamment : tout sauf cette globalisation, des marchandises – passe encore – mais des hommes ! Halte là. J’entendais dans un sujet TV, un responsable hongrois, tout sourire, présenter son pays comme le fer de lance de la défense de l’Europe, façon / poussez-vous de là, on s’en occupe… Faudrait-il pour autant, nous, Européens de l’Ouest, l’autre Europe, la vieille, grandie depuis des lustres dans l’UE, considérer que nous fonctionnons à l’inverse. Se voiler la face devant « cette honte » des murs de l’Est ? S’exonérer avec la bonne conscience qui va avec ? Portrait utopique (vous ririez en le lisant) d’une Europe ouverte et bienveillante, dont la longue habitude de Schengen aurait tissé des usages propres à supporter l’importance des migrations actuelles ? Pas aussi simple, on le voit, et la litanie de Brexit en FN et autres rugissements populistes en gloire annoncés partout par ici, s’ils ne sont pas le sujet de la chronique, l’habitent et l’habillent. Nous ne faisons pas de référendum pour ou contre les migrants, mais combien en rêvent, combien piétinent d’impatience, combien murmurent que bien sûr… mais quand même ?? dans nos Droites (l’évidence des extrêmes droites, n’en parlons pas), et dans les recoins de nos extrêmes gauches, parfois – lire de récents et indécents propos de JL Mélenchon. Les pulsions de rejet et de peur traversent nos sociétés et nos moi, fracassant nos restes de morale et d’accueil aux autres. Pas un jour, il faut dire, sans les images de ces bateaux en Méditerranée, ces migrants épuisés cognant aux portes. Ça défile tellement aux infos ; on sombre dans le contre productif : on les regarde, mais comment se fait-il que nous ne réagissions pas comme devant l’arrivée des Espagnols d’avant guerre, dont c’est l’exact pendant ? Trop d’images tueraient nos émotions, nos capacités d’empathie ? Le martyr d’Alep tourne en boucle à la TV ; les statistiques nous bombardent de ces médecins, professeurs (pas vraiment radicaux religieux) qui demandent merci. Désolés, mais ces « étrangers » nous ressemblent terriblement… On reste pourtant de marbre ou pas loin, là, où, justement, le Moyen-Age réputé si sauvage savait ce qu’asile voulait dire ! L’opinion fantasme sur les moyens qu’on n’aurait pas, le prix exorbitant du migrant qu’on devrait loger, nourrir, que sais-je (au « détriment de nos SDF » s’énervait ce type en micro trottoir, lequel, jamais probablement n’avait regardé les sans abri de sa rue). En France, 30.000 personnes sur plusieurs années. Insupportable, vraiment ? Quelques centaines de « Calaisiens » dispersés sur tout le territoire et Vauquier, Sarkosyste patenté, d’agiter des pétitions de refus des maires sur le Net. On tient presque un Orban, là ; encore un petit effort ! Ambivalente, l’opinion européenne peut certes – les images, les infos, leur vitesse-lumière – s’émouvoir à grands sanglots ; un film type Welcome, une photo du petit noyé de L’Égée, quelques jours, quelques heures, en repassant presque dans le même instant dans les guenilles peureuses et indifférentes des petits Hongrois sauce française ou allemande… Du coup, quand on entend le bruit de bottes du référendum hongrois – quel que soit son résultat hic et nunc – peut-on, tête haute, se penser intègres à l’Ouest face à l’Est dérivant, ou, il faut le craindre, sentir partout en Europe ce froid des refus, des rejets, des peurs. Alors, même si la résistance au pire bouge encore, dans l’abstention d’hier en Hongrie, l’arrêt au bord du gouffre des présidentielles autrichiennes, hier, ce « à un cheveu » ne peut nous rassurer. Il semble bien, en effet, que l’autre ne soit plus du tout de saison… il faut espérer qu’on en grelotte tous… «  Quand ils sont venus… je n’ai rien dit… je n’étais pas…  » a pourtant dit un certain.

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