LES PARTIS POLITIQUES SONT-ILS OBSOLETES ?
Depuis longtemps déjà, au sein d’une grande majorité de l’opinion publique française, le « Tous pourris ! », ou le « Qu’ils s’en aillent tous ! », font des ravages, en mettant en cause profondément les bases mêmes de notre système démocratique, largement fondé, jusqu’à présent (au moins depuis le tout début du XXe siècle), sur les partis. D’où les questions de leur utilité ou modernité qui ne peuvent que surgir. D’abord, peut-on vraiment aller jusqu’à parler d’obsolescence des partis politiques français et, dans ce cas, pourquoi ? Ensuite, pour quelles raisons le Front national apparaît-il comme une exception dans cette déliquescence générale des forces politiques (avec d’ailleurs de fortes nuances) ? Enfin, en quoi les partis politiques restent-ils (ou non) indispensables, et comment les transformer en profondeur, et enrichir, par des moyens nouveaux, la vieille « démocratie représentative » française ? En quoi cette obsolescence ? les partis ont de moins en moins de vrais militants, même à gauche. En dehors des structures d’extrême gauche (les partis trotskistes essentiellement), ils sont devenus des forces politiques d’élus avec autour des sortes de clientèles (y compris pour le Parti Communiste). Obsolescence, parce que tous les partis (même le Front National, mais ce cas est particulier) se divisent, au risque de provoquer à terme des schismes et donc des reclassements, certes en rapport avec les questions tournant autour de la « mondialisation » et du rôle de la nation dans ce contexte global, mais aussi à travers des oppositions de personnes. Cela est vrai à gauche, autant pour le Parti Socialiste (avec actuellement les « frondeurs »), que pour le Front De Gauche (entre Jean-Luc Mélenchon et son Parti De Gauche et le Parti Communiste de Pierre Laurent), ou encore chez les Écologistes (qui se déchirent sur la question de savoir s’il faut ou non revenir au gouvernement). Autant à droite, pour le parti Les Républicains (entre les rivalités de personnes et la tactique différente d’un Nicolas Sarkozy et celle d’un Alain Juppé, voire de François Fillon, etc). Autant pour le centre, à l’Union des Démocrates Indépendants ou au Mouvement Démocrate (de François Bayrou), où certains pourraient envisager à terme une alliance – face à un Front National devenant de plus en plus menaçant -, avec un Parti Socialiste déjà recentré, tandis que d’autres centristes ne veulent entendre parler que d’un rapprochement avec le parti Les Républicains (à condition qu’Alain Juppé soit le futur candidat de la droite et du centre regroupés en 2017). Pourquoi cette obsolescence ? Parce qu’il y a, depuis l’effondrement du « socialisme existant » (le soi disant « communisme » de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques et des pays de l’Est), une crise des idéologies alternatives face au capitalisme néo-libéral « mondialisé ». D’où le choc négatif subi – à tort ou à raison – aux yeux d’une bonne partie de l’opinion française par l’image du Front De Gauche, qui apparaît, d’une certaine façon, comme le continuateur du néo-stalininisme. Parce que le socialisme démocratique lui-même a été touché par cette crise des idéologies. En effet, la « sociale-démocratie » ne peut fonctionner (son rôle historique étant d’assurer davantage de justice sociale et de droits pour les salariés au sein des entreprises) que s’il y a « du grain à moudre », c’est-à-dire un certain niveau de croissance économique : disons d’au moins 1,5% par an (pour stabiliser la hausse du chômage). On comprend mieux pourquoi une fraction importante du Parti Socialiste a dérivé vers le « social-libéralisme », qui correspond à un affadissement (nécessaire ? inévitable ?) de la « sociale-démocratie ». Parce que les Écologistes sont stratégiquement éclatés entre ceux qui veulent une décroissance (avant tout les anciens « Verts ») et les partisans d’une croissance sélective (Daniel Cohn-Bendit et Europe Écologie). Parce que les libéraux eux-mêmes, le parti Les Républicains, l’Union des Démocrates Indépendants et le Mouvement Démocrate, ne savent pas quel est le niveau de régulation du capitalisme mondial (surtout financier) qu’il conviendrait de tenter de mettre en place (au niveau européen et mondial). De plus, ils n’ont pas tous la même façon d’appréhender la question de « l’identité nationale », de l’immigration, et de l’insécurité (la fracture « humaniste » traversant ces partis, sur une échelle allant des plus à droite aux moins à droite). Parce que les institutions de la Vème République, avec la vampirisation de la vie politique par l’élection présidentielle, largement à bout de souffle, contribuent à finir de rendre les partis politiques assez largement caduques, en les transformant en « écuries de présidentiables » fondées avant tout sur des querelles de personnes ; il est connu que dans les grandes formations politiques, il faut se débarrasser , « tuer », les concurrents de son propre « camp », avant de s’occuper de ceux d’en face, pour s’installer en pôle position lors des élections à venir. Une question importante doit être posée : pourquoi le Front National semble-t-il être une exception ? On écoute souvent dire, à propos des frontistes : « On ne les a jamais essayés ! »…En effet, son « idéologie », fondée sur la crise (multiforme et « systémique ») que nous traversons, apparaît comme « vierge », puisque n’ayant jamais été appliquée concrètement. Et pourtant, ce parti ultra-nationaliste a repris, en les adaptant à notre époque, les thèmes principaux du régime de Vichy des années de guerre, en mettant par exemple en avant la dénonciation de « l’islamisation de la France » à la place (quoique… ?!) de son « enjuivement »… De plus, ce parti apparaît non seulement comme « hors système », mais « anti-système », dénonçant toutes « les élites », nationales, européennes, et mondialisées(qui suscitent souvent la déception, voire la colère). Et, actuellement, par le biais du principal « gourou » de Marine Le Pen, Florian Philippot (ancien chevènementiste, puis proche du Front de Gauche), le Front National est en train d’établir des passerelles avec « une certaine extrême gauche », un peu comme ce qui s’était passé durant les années 1930 (ici, au nom de la dénonciation de « L’Empire » et du « Complot américano-sioniste »). Pourtant, même le Front National prétendument neuf, se trouve touché par l’obsolescence des partis politiques. On le voit d’abord à travers le fait que, lors des dernières élections, les frontistes n’ont quasiment pas progressé en voix, mais uniquement par le biais de ce que les politologues nomment « l’abstention différentielle » (autrement dit, ils sont moins touchés par l’abstention que les autres forces politiques – forcément). De plus, cette sorte de « conflit des Atrides » à l’intérieur de la PME Le Pen, entre le père et la fille, avec en plus les positionnements de la petite fille (et nièce) a déjà eu des conséquences négatives en ce qui concerne l’image du parti aux yeux d’un bon nombre de militants (mais, très peu, semble-t-il, pour les électeurs)… En quoi les partis restent-ils pour autant indispensables, comment les transformer en profondeur et enrichir la « démocratie représentative » ? Notre Constitution (celle de 1958) déclare, dans son article 4 : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ». Traditionnellement, on attribue trois fonctions principales aux partis : une fonction programmatique, une fonction militante et d’animation du débat politique, et une fonction de sélection des candidats aux élections et des élites politiques au sein des appareils. Aujourd’hui, on peut dire que ces trois fonctions ne sont plus que partiellement assurées. Le système des partis doit-il être pour autant jeté « à la poubelle de l’Histoire » ? Et dans ce cas, par quoi le remplacer ? Par une démocratie uniquement directe, comme certains le réclament (mais quelle en serait la légitimité, sans la consécration par le suffrage universel ?). Les solutions, à moyen et à long terme, ne consisteraient-elles pas d’abord à transformer les partis eux-mêmespar un engagement direct des citoyens en leur sein (plutôt que ce que font de plus en plus de gens, à savoir geindre sur le « tous pourris ! » et la dénonciation générale des « politiciens ») ? Et ensuite, à enrichir une « démocratie représentative » refondée par la « démocratie participative », notamment par le biais des associations (cela se fait déjà) et la consultation des citoyens par l’intermédiaire d’internet – et plus particulièrement des réseaux sociaux ? Mais, sous quelles formes et jusqu’à quels niveaux ? N’oublions pas aussi – surtout ? – le concept de référendum d’initiative populaire (comme en Suisse). Mais, là aussi, avec quelles modalités précises, et sans oublier le fait que cela exigerait une réforme de notre Constitution… On voit donc, le riche débat qui est ouvert ! « Les partis politiques : Vie politique française » – Gilles Thevenon, Jean-Philippe Jal, Chronique Sociale, 2014, 212 pages « Les partis politiques en France » – Pascal Delwit, Université de Bruxelles, 2014, 249 pages