Actualité 

Levothyrox, le labo et l’armée des otages

La bête ne tuera pas, comme le Médiator de sinistre mémoire, se contentera de mettre dans l’inconfort force 10, d’heure en heure et jusqu’à quand, pas mal de gens dans les millions (3) d’utilisateurs du correcteur thyroïdien. Presque rien, presque tout, selon que vous appartenez ou non à l’armée des otages du problème qui raffutent dans tous les médias ces jours-ci. Sire Levothyrox, qu’on peut nommer tel un monarque, vu qu’il trône seul en son rayon médicamenteux. Seul, en compagnie de son père, le laboratoire Merck Serono, de Lyon, seul aussi à fabriquer de telles pilules – le(s) concurrent(s), on voit pas… otages bien en main, allez ! disons seulement patients captifs dont Levothyrox-Merck démarre et finit l’alphabet… Mais que serait Sire Merck sans les consommateurs de sa pilule, écrirait n’importe quel écrivain public d’antan. Affaire de solitude, donc – mot que vous avez le droit impératif de traduire illico par monopole (essayez donc de mendier dans vos officines autre chose que Levothyrox !), – de silence au fond des locaux impeccables et quasi futuristes de ces grands labos pharmaceutiques, gloire de notre industrie, en passe de devenir intouchables ; de dysfonctionnement sanitaire, pour autant, au bout. Que de ( s) dans la chose… seul à manquer, peut-être, celui de santé ? Le petit cachet blanc ; goût insipide, molécule essentiellement iodée, que l’on prend – que je prends – chaque matin, compense le dysfonctionnement (ou l’ablation totale ou partielle) d’un tout petit organe à la forme presque jolie de papillon à la base du cou : la thyroïde. Si petite qu’on en viendrait à négliger sa présence ; rien, à comparer, d’un poumon, d’un foie, alors d’un cœur, n’en parlons même pas ! Et pourtant, ce micro robinet de poupée, goutte à goutte, distille rien moins que l’équilibre. Il régule et sans lui, on est mal, soit excité à n’en plus finir – dysfonctionnement hyper , soit épuisé à ne plus pouvoir se lever – hypo , en ce cas. Je fais trop vite à l’évidence, mais le gamin de 10 ans qui me lit ne manquera pas de laisser tomber ce « mince, c’est embêtant ça ! » qui comme tout ce que saisissent les enfants, n’est pas loin d’une certaine vérité. Jusqu’à la fin de l’hiver dernier, notre armée de dopés au Levothyrox, tous dosages confondus, était quasi inconnue, car, bon an mal an, « corrigée ». Progressivement, montèrent alors de loin en loin des plaintes argumentées : qui perdait ses cheveux, qui voguait de vertiges en nausées, qui se réveillait dans les crampes, qui était épuisé, perdait le sommeil, et j’en passe. Pour ma part, la fatigue ressentie était d’une intensité et d’une nature telle, que, presque naturellement, elle me renvoyait au souvenir de l’état d’hypothyroïdie que j’avais traversé avant « mon dosage ». Mais, comme les autres « nouveaulevothyroxés », d’autres causes firent alors office de présumés coupables, cachant le papillon et sa nouvelle boîte bleue ; nous vivions depuis si longtemps en compagnie du petit cachet blanc ! L’info finit pourtant par passer le bout du nez – articles, brèves, bouche à oreille, reportages : le labo avait modifié – presque rien, se défendit-il – un excipient de son médicament (remplaçant le lactose pas toujours toléré). Presque rien, et pour certains, quasiment tout. « Notre » Levothyrox était changé, aux marges, certes, mais changé. Or, dans ce domaine des régulateurs, un rien, une tête d’épingle peut – pas forcément chez tout le monde – perturber grandement l’organisme. Exit donc, la réponse cinglante et inqualifiable du labo monopolistique : «  les effets secondaires évoqués sont imaginaires  » . Assorti d’un revers de main méprisant : «  les plaignants se montent le coup via les pétitions internet  »(la principale atteignant à ce jour, sous le patronage de l’association des déficitaires thyroïdiens, le nombre infime de plus de 200.000 signatures).   Toutefois, et en croisant plusieurs avis autorisés, cela pourrait être un raisonnement honnête, il faut probablement considérer que le « nouveau Levo » ne saurait être l’unique coupable dans nos dysfonctionnements divers. Celle-là a bien des problèmes personnels qui émaillent ses insomnies, celui-ci entre dans l’âge où la mécanique tremblote, celle-là encore amorce le tournant périlleux de la ménopause, et que dire de ces traitements de fond trainés depuis des lunes au motif d’une autre affection chronique, devenus grincheux devant la moindre cohabitation médicamenteuse… nous sommes des gens fragilisés ici et là, abîmés ailleurs que dans le papillon du cou, nous sommes des individus différents aussi, dont les réactions sont aléatoires ; bref nous sommes des patients face à des traitements, et bien sûr des vies. Mais, s’il n’est que responsable annexe – je l’évalue en ce qui me concerne à 20 à 25% des désagréments, et permettez-moi de penser que c’est bien trop – Levothyrox n’en est pas moins pervers, car on sait que ce qui se rajoute, pèse en fait plus que la véritable masse. Nos effets secondaires ont bien une date de naissance, convergent ; quand – la formidable citoyenne-debout qu’est la comédienne Anny Duperey l’écrit récemment dans une lettre ouverte à notre ministre de la santé – ils ne grandissent pas, prenant, tel l’œil du cyclone, de la force en avançant… Alors, le positionnement si peu démocratique du labo en situation de monopole – il suffit d’attendre que l’organisme s’habitue , et en attendant, on ne veut voir qu’une seule tête (pardon, thyroïde) – est tout bonnement insupportable. Refus d’entendre, de discuter, de… tenter de convaincre et de faire raisonner. Mépris hautain et fort anxiogène pour les usagers dans le niet aux associations (=fatras d’incultes) par exemple. Du vieux capitalisme en fait dans les méthodes (sans aller jusqu’à tenir l’argument un peu court de l’enrichissement indu sur le dos de nos thyroïdes). Le gouvernement devrait tendre la bonne oreille (la ministre sort de l’ombre ces jours-ci), car derrière le – peut-être modeste – problème sanitaire se profile aussi le – gros – mécontentement sociétal : un corps médical coupé, « irréconciliable », dont certains ne sauraient, même au prix de fermer les yeux, être les ennemis des labos, donjons intouchables. Où l’on se retrouve devant l’antique pouvoir médical, son fonctionnement, ses arcanes. Les pharmaciens ont, quant à eux, été souvent ceux qui ont « levé le lièvre » sur la nouvelle boîte bleu électrique… Deux saisons après le chuintement du problème Levothyrox, si pas grand-chose ne pointe en termes de retrait franc du médicament, à part un refus réitéré, les médias ne cessent d’enquêter et d’amplifier le mécontentement des usagers ; les pétitions enflent et ce battage est un acquis. Quand Peugeot voit défiler je ne sais quel signalement de problème sur ses 208-2016, chaque propriétaire, partout sur le territoire, est prié de ramener au garage son véhicule à des fins d’expertise fine. Nous ne demandons guère plus : que nos thyroïdes aient au moins la valeur des voitures, qu’on prenne le temps, l’argent s’il le faut, de considérer dans tous ses aspects le problème. Car si ces patients en souffrance sont – hélas – bien les otages, prisonniers du monopole du laboratoire lyonnais, il ne faut pas oublier qu’à présent ils forment une armée, et là, ça pourrait devenir tout autre chose.

Vous pourriez aimer lire: