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Panthéon, piège à cons ?

Le panthéon, à Rome, est le seul monument de l’antiquité païenne à avoir échappé à la rage « idoloclaste » du Christianisme triomphant : dédié à tous les dieux, il l’était aussi à celui d’Abraham, Isaac et de Jacob… Nos « dieux » à nous sont moins glorieux. Mirabeau – le tout premier « panthéonisé » – révolutionnaire, vénal, débauché et corrompu (une gravure allégorique de novembre 1792 le représente enfermé dans l’armoire en fer où sont entreposées les pièces à conviction de la trahison royale. Au centre de la scène, le squelette de Mirabeau tient la bourse, symbole de sa corruption) inaugura le projet : mort le 2 avril 1791, ce fut le 4 avril de cette même année que l’Assemblée Nationale décida par décret que « l’église sainte Geneviève (dont la construction avait été ordonnée par Louis XV en remerciement d’une dysenterie guérie) servirait de nécropole aux personnalités qui contribuèrent à la grandeur de la France ». Sainte Geneviève demeura – par intermittence – une église jusqu’à ce que le décret du 26 mai 1885, à l’occasion des funérailles de Victor Hugo, proclame avec solennité que le lieu désormais serait dédié aux « grands hommes ayant mérité la reconnaissance nationale ». Fournissant par là même également l’occasion de panégyriques au lyrisme ampoulé, dont le chef d’œuvre restera sans nul doute pour l’éternité le discours d’André Malraux, en 1964, prononcé à l’occasion du transfert du corps de Jean Moulin : « C’est la marche funèbre des cendres que voici. A côté de celles de Carnot avec les soldats de l’an II, de celles de Victor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice, qu’elles reposent avec leur long cortège d’ombres défigurées. Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu auras approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France ». Mais que se cache-t-il derrière ces si pompeuses pompes funèbres ? La « panthéonisation » est le stade ultime du clonage républicain des institutions ecclésiastiques. Qu’on en juge : 1792, instauration de l’état civil, destiné à « doubler » les registres paroissiaux ; dans la foulée, apparition du mariage civil « célébré », comme il se doit à la mairie, pour damner le pion à celui célébré à l’église. 1794, création du « baptême républicain », farce tombée en désuétude mais qui subsiste toujours aujourd’hui dans les textes (article 398 du code Civil). La panthéonisation constitue ainsi le pendant laïc de la canonisation : aux saints de Dieu s’opposent les saints de la République. Preuve, s’il en était, que le jacobino-républicanisme va au-delà de la sphère politique, pour s’installer, en toute sérénité, dans celle du religieux. La République est un culte, avec ses rites d’initiation, ses rites de passage (le mariage), son au-delà sacramentel et mis en scène à grand renfort de médiatisation. On retrouve ici le sens originel du mot religio , relier, faire du lien. Et, en effet, ces grand-messes que sont les « panthéonisations » prétendent ressouder, rassembler les foules indifférentes ou rebelles. Mais qui y croit vraiment ? Cicéron, à la fin de la res publica romaine , écrivait que « deux augures ne peuvent officier l’un devant l’autre sans rire ». Bien pauvre opium du peuple, dirait Marx. Ou pour reprendre un slogan soixante-huitard : panthéon, piège à cons !

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