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Rugby français, de chair et de toc

Au rugby comme dans la vie, il y a deux manières d’apprivoiser la défaite. Soit en la considérant de l’œil circonspect du colonel de tranchée y puisant des raisons d’y construire sa prochaine offensive stérile avec le peu d’hommes valides qui lui reste, soit en l’observant aux côtés de Descartes qui considérait déjà, sans l’écrire, que «  ce qui nourrit la défaite contre les All Blacks est ce qui a construit leur victoire  ». Les Blacks jouent au rugby comme ils pensent. Les Bocks jouent au rugby comme ils survivent tout entourés qu’ils sont de triste mémoire, de beautés merveilleuses et de puits sans fond. Les Bleus, eux, se contentent de penser un rugby qu’ils essaient de jouer avec toutes les balourdises d’un candidat au permis de conduire qui a consciencieusement mangé son code Rousseau mais qui s’avère incapable de lever le museau du bout de sa calandre. Si nous pensons comme nous sommes, nous pouvons résumer la situation en nous disant que nous avons été concassés sur ces derniers matchs par des peuples archi dominés chez eux soit par des millions de moutons soit par des millions de gazelles. C’est à peu près ce qu’a dû se dire le même Descartes hésitant au soir de sa vie entre l’écriture de son discours sur la méthode avec son autre œuvre restée discrète et qui sombra dans l’oubli : De l’amour entre les hommes de rugby au pays du long nuage blanc . On pourra tout dire sur ces matchs, énièmes branlées contre des hommes du bout du monde pourtant dépassés en nombre sur leurs terres par des pelotes Phildar et des gigots mais que l’on s’évertue à chaque fois à respecter comme des ancêtres s’étant échappés de l’enfer d’une mauvaise maison de retraite ! On pourra même dire avec l’air satisfait de la victoire en perdant que les Français ont gagné quelques bribes de match et que l’honneur est sauf. Rien que ça, mais bon, depuis que l’on a inventé en France le concept profond de « la brave défaite », on se sent moins ridicule en choisissant toujours de devenir écrivain plutôt que sportif ! Autant gorgé de défaites depuis bientôt dix ans qu’il pleut des larmes sur les commémorations de novembre, le rugby français continue de poursuivre consciencieusement sa traversée de l’hiver le plus sombre qu’il ait connu depuis Azincourt. Oui, dans ces matchs, les Français ont créé quelques occasions de s’enivrer de bières (sans alcool malgré tout, faudrait pas exagérer), oui quelques nouvelles bleusailles aux dents blanches et aux gestes précis permettent de mieux repenser l’avenir d’un french flair qui est un peu moins mort qu’il y a un mois. Oui, mais bon, au bout du tunnel, le noir est toujours de rigueur et le tableau d’affichage continue d’afficher ses 38/40 pions de moyenne contre les Black, gouttes au nez non comprises, et presque pareil contre les Boers quand novembre annonce le retour de ces Golgoths sur nos terres. Ça commence à faire long que de constater, match après match pour ne pas dire années après années, que ce qui manque le plus à ce rugby français est de recommencer à labourer la simplicité que nous ne sommes jamais parvenus à ériger en système de pensée. Pourtant de grandes armées de spécialistes et d’experts de tous poils se sont penchées sur notre rugby, il se murmure qu’un module de Polytechnique affichera dès la rentrée 2018 ses conclusions sur la vie et l’œuvre de David Gallaher, joueur de rugby et caporal de l’armée néozélandaise venu mourir dans une froide tranchée de 1917. De brillantissimes chroniqueurs nous expliquent même les racines du mal avec Les 12 travaux de Novès (1) , Les 7 soucis du quinze de France . On pense bientôt éditer un spécial Martine joue au Rugby pour défricher de nouvelles ressources explicatives. On fait donc tout ce que l’on peut pour ausculter avec bienveillance l’électroencéphalogramme désespérément plat de la bête. Mais force est de constater qu’au bout du tunnel, c’est le noir qui reste allumé et que dans ce noir-là, il est des imbéciles pour en trouver des parcelles moins foncées que d’autres. Bref, le rugby français est dans une noirceur qu’il conviendrait en premier lieu d’éclairer d’un peu de lucidité en interdisant à ses acteurs d’en faire plus de 5 mots par phrase et de n’utiliser que des verbes d’action du premier groupe conjugués uniquement à l’indicatif. En second lieu, il faudrait marteler avec plus de force ce que les premiers Blacks amenèrent sur l’Europe en 1905 et sur lequel ils puisent toujours leur force : le rugby est un sport d’évitement, à plusieurs passes, où l’objet principal est de gagner en courant le plus souvent possible par les ailes (et loin des arbitres pour les phalangées à cinq pétales) . Que l’on s’inspire pour ce faire de la diffusion héroïque et sans bavure de l’épitre de Saint Jean depuis 20 siècles : personne ne le connaît mais tout le monde peut en réciter les principes ! En troisième lieu, il faudrait reprendre un certain nombre de règles devenues plus stupides qu’une première ligne édentée britannique et qui font que de moins en moins de joueurs susceptibles de jouer pour l’équipe nationale ne sont engagés en France car bouffés tous crus, chaussettes façon charnier comprises, par des propriétaires de clubs et des mercenaires sudistes confondant rugby professionnel avec poule aux œufs d’or, gogos de spectateurs à 80 €/match en bonus. En quatrième point : interdire plus de 3 fois d’affilée tout temps de jeu dans l’axe qui a tout de la minable politique du petit tas et qui font que le rugby devient aussi dangereux que crétin et qui fait que ma fille ne veut plus que son frère y joue. En dernier point enfin, il faudrait envoyer un certain nombre de nos lumières ovales passer leur temps à raffuter les Empereurs de la banquise. Ils y trouveraient matière à rendre pérennes leurs conceptions éculées de la noblesse de ce sport qui se jouera bientôt sur une feuille de papier. On y gagnera en faisant de savantes additions de poids et de tour de biceps et le plus gros (riche) lèvera la quille en rotant parce que se croyant revenu sur le port d’Amsterdam. Les Français ont perdu leur premier match de novembre parce que les Black sont venus pour le gagner. 1+1=2 est plus difficile à comprendre que l’esprit de ces joueurs venant jouer pour gagner en s’y abreuvant de plaisir. Ils ont ensuite perdu contre de mauvais Sud Af, plus vexés d’avoir été rossés à Dublin qu’un Hippopotame du Kruger qui se serait fait pincer le testicule droit par un lémurien goguenard, parce qu’ils se sont habitués à perdre, comme Harpagon s’est habitué depuis 350 ans à toujours se regarder la louche gauche collée à son portefeuille. Il reste un match à jouer en 2017, contre le Japon. Et malgré les apparences qu’une histoire rugbystique si riche nous a transmises et qui maintenant tourne dans le vide, ça ne sent pas l’hirondelle de printemps. On est plutôt dans la rafale de 12 retaillée pour disperser ! Faudrait pas imaginer que ces vaillants Japonais cachés dans des cerisiers les poches pleines de grenades repartiront manger des Sushis avec 60 pions facilement acquis dans la musette. Faudrait pas l’imaginer quand même car dans le rugby français, tout est désormais possible… Y compris de se faire hacher par ces joueurs qui ont fait beaucoup de progrès en très peu d’années. La seule chose qu’il faut prévoir c’est de le regarder armé d’un litre (au moins) de Saké par convive, afin de pouvoir mieux glisser sur des Japonais qui désormais font peur aux héritiers des Boniface, Ondarts, et autres Sella… C’est dire ! Sonnons le clairon de Novembre pour redonner un peu de chair à ce sport qui n’est devenu que du toc serti de Financiers aux chaussures propres et aux ongles manucurés alors que dans mon sport ils devraient sentir la bouse, le verbe fort, l’ail et les pompes usées par le travail. Sonnons-le aussi pour rameuter les certitudes que les Français peuvent gagner ce match comme plein d’autres. Ils le peuvent d’abord parce que l’espoir est plus fort que les certitudes statistiques. Ils le peuvent ensuite parce qu’ils finiront bien par s’apercevoir que dans n’importe quel jeu, c’est la liberté qui gouverne et non les longs discours qui espèrent faire mûrir les fruits pourris. Ils le peuvent enfin pour deux dernières raisons. La première est que les jeunes pousses aperçues en novembre enfonceront le clou de l’insouciance retrouvée balayant les vieilles certitudes et les chevaux de retour. La seconde est que perdu pour perdu, faudrait songer à y aller pour gagner, histoire de contrarier la vérité sémantique qui nous ferait redevenir aussi chiants que Français, et histoire aussi de ressembler à ces Black qui ne jouent jamais pour le simple plaisir du jeu. Coubertin c’est bien, mais bon, gagner c’est mieux, et c’est surtout un état d’esprit. Alors débrouillez-vous, mais bon, remettez-leur les poings sur les yeux …   (1) Guy Novès, sélectionneur de l’Equipe de France. Aussi appelé Fils de Crao tant l’emprise du président, Bernard Laporte (Michel Audiard se languit de son arrivée au paradis), est importante.

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