« souvenirs d’été » : Un été sans frein
« Eté roche d’air pur »… Vendredi 20 Juin Paris : Je suis encore à la maison, chez ma mère. Six heures du soir. Devant moi, recevoir ses murs vibrants en pleine gueule. Hier à cette même heure je n’avais pas encore réservé mes chambres d’hôtel à Ajaccio. J’étais dans une autre saison où les informations qui me parvenaient se mettaient en quatre pour me dire mes destins les plus fous et les plus secrets. C’était Aout 1914 C’était l’été 42 C’était le 21 Juin 2014 le jour où l’été de ma vie s’est pris pour un jeune homme avec une tête de printemps. La première ville où je me suis présentée était dominée par ce que tous ses habitants prenaient pour une grande montagne, l’Adour, que nous appelions le Murdjadjo ou la Montagne des Lions. Chaque été elle avait son heure de gloire avec ses processions de chrétiens, de juifs, de musulmans, croyants, demi-croyants, incroyants, avec leurs paniers de mounas, de figues, de tomates, de pastèques. Je ne me souviens pas que l’on ait mentionné de bouddhistes, je ne sais même pas si ce mot avait une réalité dans le vocabulaire des oranais. Pieds-nus, en espadrilles, en bottines ou en babouches, c’était les mêmes senteurs, les mêmes pierrailles et par-dessus tout le même ciel. Comme le petit papillon qui se serait partagé en deux ailes, comme le rabbin dont les prières iraient déraciner deux petites herbes entre deux pierres du mur des lamentations, nouerait pour ne pas les perdre les deux pans de sa chemise de rabbin, la Montagne des Lions pourvoyait chacun de ses grimpeurs d’une mondanité de bénédictions magnétiques d’égale chaleur humaine. Comme certaine saison qui n’arrive pas à s’en sortir, je n’arrive pas à y entrer dans cet été dont ses trois lettres, é-t-é, sont comme une nouvelle marque de fabrique pour ma vie. C’est plutôt une enquête sur ces murs ; ils sont blancs chargés de toutes les hautes saisons de plusieurs vies qui m’ont connue enfant adolescente. C’est trop leur demander, ils ont surtout été les voyants des heures malheureuses de ma mère dont le fils ingrat ne voulait pas savoir qu’un cœur de mère durerait jusqu’à l’agonie pour croiser une dernière fois son regard. Je regarde ces parois stigmatisées que je vais quitter pour un autre été. Métamorphose… Croisement des regards : lequel regarde l’autre ? Combien de lunes et de soleils pour découvrir pourquoi les cellules des moines devaient être vêtues de blanc immaculé ? Laisser le suivant à son innocence et ses espoirs ? Ou bien au contraire, être là présent de toute sa virtuelle et virtuose virginité pourtant chargée de tant d’émotions et de spiritualités, de débats, de contradictions ou de doutes ? Hier soir, face aux murs blancs de la chambre de ma mère, j’étais l’hôte bénie de ses pensées, de ses prières peut-être même de ses impatiences dont cette maison avait été la gardienne. Je les parcourais en les frôlant de la main en les caressant du regard. Je les priais. L’immaculé apaisait mon âme troublée. Où allait donc se nicher une âme et quel autre mot devait-on employer ? C’était le secret qui nous liait. « Où l’arbre fume et perd quelques oiseaux »