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Tatie Tigrette et les 40 croquettes

  Vous souvenez-vous – j’ai bien dû le voir X fois – de cette merveille d’Etienne Chatiliez :  Tatie Danielle (1990)… L’atroce vieille dame, définitivement indigne, portant en sautoir ses 92 ans, dont les derniers feux de l’énergie vitale passaient dans – excusez – « faire ch… l’entourage et même un peu au delà ». Le film, impeccable de traits outrés, mais au final, justes, ne commençait-il pas par cette mise en garde : « vous ne la connaissez pas encore, mais elle vous déteste déjà »… Tsilla Chelton, œil des mauvais jours, mèche grise peu engageante, voix geignarde de crécelle mal accordée à vous tuer l’oreille interne, a reçu, pour l’affaire, un César de la meilleure actrice remarquablement mérité. Depuis lors, le prototype « une Tatie Danielle » est passé partout dans nos vies, estampillé sociologie ; c’est un peu de nos grands-mères, tantes, et évidemment, belles-mères. Mais jusqu’à maintenant, si cela demeurait une chieuse de haut vol, dont le biotope hantait les abords des maisons de retraite, c’était toutefois limité à la race humaine, plutôt occidentale, mais non transmissible à l’animal ; mais voilà, c’est à présent avéré – vite, les micros du 20 heures – j’AI une Tatie Tigrette chez moi ; Corrèze profonde. Presque 17 ans, quand reviendront les longs jours – approche donc du très grand âge – chatte européenne (n’allez surtout pas lui dire « de ferme », au risque de provoquer une crise), pelage toujours aussi doux et soigné – « de vison » s’extasie sa vétérinaire – son port altier – un peu dédaigneux, peut-être, demeure ; je l’ai dit dans une autre chronique : c’est une chatte debout ! Et elle le reste, marchant un poil moins vite, c’est tout. Oui, mais depuis quelques mois, Titi va à vau-l’eau, marche cul par-dessus tête, multiplie les prodromes, en un mot, dysfonctionne ; on hésite : Alzheimer débutant, marche forcée vers quelque démence sénile ? Nous avons consulté « Doctissimo » pour chats, envisagé – c’est un peu loin – de quérir la parole d’un psychiatre pour animaux, sis à Lyon, pour aboutir à l’évidence « et si elle nous faisait le coup de Tatie Danielle ? »… C’est ainsi qu’elle « s’oublie », avec un air de ne pas trouver ça grave, en dehors de sa litière – moins souvent, c’est vrai et avec moins de perfidie que la vraie Tatie ; qu’une curieuse boulimie perturbe son horloge interne alimentaire ; à peine servie, elle se repositionne en mendiante – « mais, non, je n’ai pas mangé ! C’est toi qui ne te rappelles pas » dit son regard sévère et sérieux (plus beau que celui de Chelton quand même !) ; toute une vie d’amateure de croquettes passe un matin, à la trappe, avec un coup de pattes colérique qui balance les « 40 » croquettes dûment estampillées Friskies-sénior ; menace de grève de la faim, et le binôme à deux pattes qui lui sert de taulier, de noter en haut de la liste des courses : « pâtée », et de souligner 3 fois l’urgence. Toquades, quant à son lieu de sommeil ; tous les endroits de la maison ont été testés ; ce qui n’empêche pas que, nuitamment, la bête miaule à bas bruit, mais de façon ininterrompue, vous sortant du sommeil profond, avec quelque chose qui pourrait s’apparenter à la torture de la goutte d’eau. Tatie Danielle, elle, était passée championne dans le genre « je ne suis pas bien… j’ai soif… non, pas de ça… si vous pouviez, par contre… ». On y va tout droit. Le souvenir des caprices des gamins passe, mais, confusément, là, on sent qu’on s’en sortira moins bien… L’environnement de Tigrette est en soi un chapitre essentiel du premier manuel d’éthologie venu ; propriétaire levant le col avec une morgue de roi nègre, à l’intérieur, elle réduit, à présent, de cercle en cercle, un territoire qui fut, dans sa vie antérieure, digne des grandes savanes africaines. Avec l’âge, l’horizon se restreint, comme peau de chagrin, un peu comme celui des paysans d’Ancien Régime ; la crainte de l’ailleurs s’installe ; dès la porte franchie, Tigrette en rabat – fine capacité d’« insight », du reste – réservant les délices de la tyrannie à nous, gens de l’intérieur. Les autres, dehors, ce ne sont pas les gens – le facteur n’est fait que pour amuser les toutous à leur mémère ; ce sont les chats des fermes alentour, plus quelques chiens qu’elle dédaigne, car, parqués ou attachés. Elle aussi, « tous, elle ne les connaît pas vraiment, mais elle les déteste ». L’ennemi intime est un matou roux, louchant, mais pas méchant, siégeant à longueurs d’heures chaudes sur le mur du voisin – dans un temps encore assez proche, les rapports des deux félins (chacun chez soi et… les souris seront… bien chassées ?) sonnaient faussement apaisés, comme les trêves des temps médiévaux, rituels comme « le long fleuve tranquille » de notre Chatiliez ; « le bonheur était dans le pré », enfin, si l’on excepte les horreurs de la guerre, à grands cris modulés, que seules les chattes réussissent (et puis quelques cantatrices en chant baroque), nous faisant sortir, terrorisés, le « 15 » au bout du téléphone, pour tomber sur « la » victime, se léchant d’un air dégagé… la diplomatie peut en prendre de la graine ; en matière de gestion des territoires, le chat, comme là-bas, au Serenguetti, le lion, a fait tous les masters… Mais Le chat, c’est – on le sait – le territoire ; on habite chez lui ; ainsi que la pauvre Tatie, « abandonnéeeeee » par ses neveux, partis en vacances, notre Européenne supporte mal nos départs, snobe l’ami qui vient la nourrir, qu’elle ne daigne jamais saluer, et maugrée pendant une soirée entière, à notre retour. Comédienne à souhait, simulatrice de haut vol, malgré son âge ; caprices de Diva, voilà, à coup sûr, un point commun incontestable avec le personnage de Chatiliez ! Mais, faut-il vous dire – vous l’auriez deviné – qu’absents, nous n’avions cessé de nous demander « si, Tigrette… » et que revenir, ce fut « enfin ! Tigrette… ». Au fait, peut-on me dire : vivre sans un chat, c’est vraiment possible ? Il y a la série des « Martine », et pas seulement sur RDT ; retrouvez Tigrette dans une précédente chronique « chasses », du temps de sa splendeur… https://www.refletsdutemps.fr/index.php?option=com_zoo&task=item&item_id=818&Itemid=2 Martine L. Petauton

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