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Un nouveau concept politique : l’illibéralisme

Le terme apparut pour la première fois dans un article de Foreign Affairs de 1997. C’était alors une question purement théorique ou comment une « démocratie », tout en préservant – dans une certaine mesure – la liberté économique, la liberté d’entreprendre, peut néanmoins limiter, voire abolir certaines libertés politiques. Viktor Orbàn, en Hongrie, reprit l’idée et surtout la mit en pratique, déclarant, par exemple, dans son discours de juillet 2014, à son parti, la Fidesz : « Nous devons rompre avec les principes et les méthodes de l’organisation libérale et, d’une manière générale, avec la conception libérale de la société (…) il faut restaurer les devoirs de l’Etat qu’ignore l’ordre économique qui prévaut en Europe de l’ouest ». Depuis Adam Smith et John Stuart Mill, on avait, en effet, lié les deux : le marché et la démocratie. Certes, les contre-exemples ne manquaient pas ; le mix capitalisme et fascisme du général Pinochet, au Chili ; ou, à l’inverse, le mariage contre nature entre capitalisme et communisme, en Chine. Mais cela n’avait pas encore été théorisé. Pinochet l’avait rêvé, Orbàn l’a fait. Le phénomène a d’ailleurs suscité de nombreuses études en Autriche, pays voisin et directement concerné, car la coalition VPÖ-FPÖ (droite/extrême droite), emmenée par le jeune chancelier Sebastian Kurz, lorgne sur le régime hongrois. Le quotidien conservateur – mais non extrémiste – Die Presse , sous la plume de Karl-Peter Schwarz, s’est lancé dans une défense et illustration de la ligne Orbàn : « Les critiques lui (Orbàn) rétorquent qu’un régime est soit démocratique et libéral, soit illibéral et antidémocratique. Ce faisant, ils oublient que la démocratie est un moyen et le libéralisme une fin. Lorsque la majorité qui voit le jour, a pour objectif le nationalisme ou le socialisme, il existe certes une démocratie, mais point de libéralisme ». Ainsi l’existence d’élections libres n’aurait pas d’autre signification que de définir le mode de désignation du pouvoir exécutif et n’impliquerait, en soi, aucun présupposé politique, étant compatible avec n’importe quelle idéologie… Ce que, bien sûr, conteste le journal de centre gauche – Wiener Zeitung – dans un article d’Isolde Chorim : « Illibéral signifie agir contre les juges et les journalistes, contre le partage du pouvoir et la société civile, illibéral signifie un contrôle des médias, un monopole du discours politique et une oppression des minorités. Autrefois, la démocratie et le pouvoir autoritaire étaient antinomiques. Aujourd’hui, nous sommes en présence d’une forme hybride, telle que la démocratie illibérale, qui allie élections, parlement et pratiques autoritaires ». Une dictature « soft », en quelque sorte, une dictature respectueuse, à échéances fixes, de la volonté populaire. Malgré tout, les faits sont têtus. Christian Mihr, directeur de Reporter Sans Frontières pour l’Europe centrale, constate : « Le gouvernement Orbàn ne détruit pas seulement l’état de droit en Hongrie ; mais il constitue un sérieux danger pour la démocratie en Europe. Depuis l’entrée en fonction de Viktor Orbàn, la Hongrie est tombée au 71 ème rang des pays respectant la liberté de la presse ». Inquiétant, d’autant qu’une dangereuse contagion se propage en Slovaquie et surtout en Pologne. Le très droitier premier ministre Jaroslaw Kaczynski n’hésite pas à proclamer : « Le peuple plutôt que l’état de droit ! Au-dessus du droit, il y a le bien du peuple… ». Même processus qu’en Hongrie : main mise sur les médias, inféodation de la justice ; et – évidemment ! – haro sur les migrants qui « amènent bactéries et parasites en Europe ». Une thèse parue en Angleterre cette année, Liberalism in illiberal states , aux Oxford University Press, tend à relativiser – et à minimiser – la portée de l’événement : après tout, aucun pays, en particulier en Europe continentale, n’a jamais été intégralement libéral sur le plan politique ; et l’auteur d’égrener l’étatisme à la française, le néo-corporatisme à l’allemande (la fameuse « soziale Marktwirtschaft ») ou le clientélisme à l’italienne. Il reste que l’illibéralisme préfigure ce que serait, en France, un gouvernement du Front National ou d’une coalition l’incluant : non point l’apocalypse qu’imagine la gauche avec camps de concentration ou Einsatzgruppen , mais – plus prosaïquement – un effacement progressif du règne du droit – le très britannique rule of law – au profit d’un arbitraire nationaliste et volontiers xénophobe. Le libéralisme en tant que liberté absolue dans tous les domaines demeure un mythe, le mythe du no border , no limit . Des limites sont manifestement nécessaires, mais pas au prix de brimer les libertés individuelles et collectives. Un Etat qui s’affranchit des lois porte un nom, et ce depuis l’antiquité : la tyrannie.

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