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«  vœux d’été » : Tu m’as demandé de parler de l’été

Tu m’as demandé de parler de l’été. J’eusse aimé te parler de l’enfance, de ces cent cigales emportées par l’Autan, des cieux immenses de la mémoire. Mais mon été a froid. Il frissonne devant un monde où des maîtresses reçoivent des coups de poignard dans leur peau douce en guise de ronde de fin d’année. Il titube en sachant que des enfants tendres sont enlevés et torturés par leurs frères ennemis, de part et d’autre d’un Mur qui depuis longtemps vacille. Il s’effondre quand je lis que des hommes se cousent des bombes sous la chair pour faire exploser des avions plein de femmes enceintes et de cris d’enfants joyeux. Il hurle en silence en voyant l’inertie des puissants devant les ventres affamés des foules de plus en plus indigentes, sans parler de la Terre que nous dépouillons de concert. Tu m’as demandé de te parler de l’été. Le mien sera de glace. J’ai acheté une glacière au bazar à deux euros et voulais aller vendre des bouteilles le long de Garonne, comme le font tous ces gens à Paris. Mais j’ai lu que c’était interdit. J’ai imprimé mes poèmes et voulais aller les déclamer sous des kiosques en tendant un chapeau et mes sourires. Mais j’ai lu que c’était interdit. J’ai cherché mes livres d’histoires et voulais les conter aux enfants dans les squares pour récolter trois sous et des rires. Mais j’ai lu que c’était interdit. J’ai demandé au docteur de prescrire une cure à mon enfant qui tousse et à moi qui ne peux plus marcher. Mais la sécu ne rembourse les trajets et donne une aide au logement qu’aux très pauvres et je ne le suis que peu, juste assez pour que mon découvert se creuse comme une rivière asséchée. Et je vois que la cure nous sera interdite, car avec deux loyers de retard on ne prend pas de location, ni en montagne, ni au camping, ni à la mer. Alors mon enfant toussera à la rentrée et je boiterai encore. Tu m’as demandé de te parler de l’été. Le mien sera de plomb, attaché à la ville dont je ne sortirai pas, et il faudra déployer tous les trésors de l’imaginaire pour en faire une fête. Oh, je sais déjà qu’en l’absence de fiston, qui, grâce à dieu et à son père qui, s’il ne paye pas de pension depuis quatre ans, le prend au moins en vacances, je mangerai froid, irai dans les bibliothèques, écrirai un peu, et ferai contre mauvaise fortune bon cœur. Il faudra comme chaque année depuis dix ans jouer à découvrir ma vie : me lever et déjeuner sur la terrasse aux tourterelles en bénissant cette aube neuve, et ces platanes de la Place Pinel qui frémissent en murmurant. Me doucher longuement avec quelque huile parfumée, comme si ce massage m’était offert par quelque main experte, avant d’aller nager dans la belle piscine municipale avant que les hordes de gamins ne s’y jettent, m’imaginant en thalasso à Bandol, seule dans l’eau pure et miroitante. Puis marcher dans les allées de ces parcs en respirant comme en forêt, y rêver de cerceaux et de billes, avant de plonger dans l’obscurité des musées et d’en lire les cent toiles. Le soir, j’irai à tous les concerts gratuits ; à moi les orgues et trompettes, et puis tant de musettes. Tu m’as demandé de parler de l’été. Le mien rêvera de rivages. Des golfes infinis de ces mers couleur monoï, des couleurs ocre de la Toscane où mille cyprès s’élèvent, de sous-bois parfumés et de landes violettes. Mon été arpentera les falaises de craie, mon été se tiendra devant les chutes du Niagara, mon été entendra un gospel dans cette petite église du Bayou, mon été sera flamenco. Mon été aura une odeur de sardines, et puis de feu de bois, quand sur cette plage infinie d’où partent des navires on dansera jusqu’au matin. Mon été sera celui des « Dernières vacances », et comme Odile Versois je me réfugierai en rêve dans un pigeonnier pour échanger des premiers baisers maladroits ; mon été sera celui d’Isabelle Huppert dans « Villa Amalia », je me délesterai de tout ce qui m’englue et partirai, en robe de cotonnade légère, déguster l’inconnu ; mon été sera « La Baule-les Pins », j’y vivrai de roses trémières et de vagues, toute embuée de soleil. Quand mon fils rentrera je lui ferai ses salades à défaut de lui en raconter, et puis nous irons chez mes parents et à notre « campagne », pourquoi donc me plains-je quand il y a cette datcha cernée de vallons et d’herbages, et la piscine au milieu des bois ? Parce que j’eusse aimé avancer, enfin, vers de nouveaux rivages, et offrir la Californie à mon enfant, à défaut de cette Montagne Noire, même si je l’aime tant… Tu m’as demandé de te parler de l’été. Alors je t’offrirai, pour t’embrasser, notre occitane Louisa Paulin : La cançon del silenci Vèni, ausirem, anuèit, la Cançon del silenci, la cançon que comença, quand s’escantís, la nuèit, lo cant del rossinhòl ; la cançon que s’ausís al doç cresc de l’erbeta, la cançon de l’aigueta que se pausa, un moment, al rebat d’un ramèl ; la cançon de la branca que fernís e que dança desliurada del pes amorós d’un ausèl ; la secreta conçon breçant l’ombra blavenca del lir còrfondut de promessa maienca, qu’espèra, per florir, un signe del azur. La chanson du silence Viens, nous entendrons, ce soir, la Chanson du silence, la chanson qui commence, quand s’achève, la nuit, le chant du rossignol ; la chanson qu’on entend à la douce croissance de l’herbe, la chanson de l’eau vive qui se repose, un moment, au reflet d’un rameau ; la chanson de la branche qui frissonne et qui danse délivrée du poids amoureux d’un oiseau ; la secrète chanson berçant l’ombre bleuâtre du lis défaillant de promesse printanière, qui attend, pour fleurir, un signe de l’azur.

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