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Cartes d’identité

Il en est des mots comme des concepts, comme des corps, la façon dont ils sont traités parfois les plie, les use, les condamne à la relégation, à l’inadéquation ou à l’opprobre. Mais leur vie propre et la destinée qui les soumet aux vents médiatiques ou à une surconsommation momentanée générant une forme de saturation sémantique n’effacera pas un fait : ainsi maltraités, ils se figent et perdent l’ampleur des réalités qu’ils tentaient de recouvrir. Et sans la capacité de ces concepts à les sérier, à les approcher, les réalités qu’ils supportent se perdent elles aussi. Peut-on identifier les traits d’une réalité si ils sont condamnés à vaciller dans l’indéfini ? Si ils sont ainsi exclus de la sphère du débat parce que trop chargés d’appartenance partisane, si ils disparaissent ainsi d’un sain champ de mouvances qui puisse leur donner d’autres ouvertures, les soumettre à l’intelligence des faits et au soin de leur analyse ? Le concept d’identité nationale est entrain de subir ce revers du destin, approprié qu’il se trouve par une vision partisane et  réductrice. Comme souvent ce glissement et cette mise en demeure privent les usagers de la richesse qui le sous-tendait, impliquant de qui dorénavant souhaiterait l’utiliser qu’il ou elle adopte dans son sillage les postures politiques de ceux qui l’ont expatrié. L’identité nationale existe, au sens où elle est le terme qui s’approche au mieux d’éléments particulièrement difficiles à localiser mais qui ont un impact évident sur les individus. Il s’agit évidemment autant d’une texture des attitudes, des comportements, du poids de certaines valeurs faisant tacitement consensus que d’une capacité à tolérer l’opposition et le débat, de se positionner face à ces éléments qui peuvent, sans être clairement palpables, construire le tissu relationnel ou celui plus ouvert des représentations. L’identité nationale n’en appelle pas à une posture face ou contre les multiples formes de l’exotisme. Elle est avant tout un corps en évolution, générée par la qualité de sa dynamique d’intégration de ces paramètres de l’étranger et qui, depuis la naissance somme toute assez récente d’une entité française, est soumise comme toute entité à des tensions internes qui la structurent, modèlent et défont. Il en va d’une abstraction bien sûr mais de celles qui portent chacun d’entre nous, à travers la langue tout d’abord et l’épaisseur mal définie mais active des liens sociaux, des institutions, de la façon dont la géographie d’un territoire a pris lentement l’allure d’une carte des potentiels et des choix. Au cœur de ces choix réside une trappe redoutable, celle qui nécessiterait d’avoir à se déterminer entre une citoyenneté issue de la culture des droits de l’homme et de l’universalité qu’elle postule et celle de l’appartenance nationale avec la prise en compte et d’une certaine façon la responsabilité de l’histoire de ce pays, de ses drames et de ses hypocrisies, de ses tares et ses torts, de ce qui est sa force et de ce qui le mine. Choisir entre ces deux modes de tension c’est se condamner à trahir une partie vitale de soi. C’est de même poser comme des incompatibilités structurelles des éléments qui bien au contraire se complètent et dont le frottement génère de l’énergie motrice. Il est nécessaire de rappeler que cette identité n’appartient à personne, qu’elle a encore une fois tout comme le concept qui la tient, sa vie propre et que cette vie est celle de tous ceux qui ont fait et font le choix de jouer ce jeu complexe et profond de l’appartenance. La relégation sur un des bords politiques d’une valeur nationale à défendre crée un no man’s land là où cette construction, par nature enracinée dans sa genèse historique et par nature soumise à une évolution que nul ne pourra jamais s’approprier, nécessiterait une analyse des freins, des mutismes et des dénis qui plutôt que de stimuler les capacités d’adaptation et de créativité enferment cette identité nationale entre les murs de ses anciens démons.     Elisabeth Guerrier

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