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Charlie dans son bunker… mais que faire d’autre ?

Depuis quelques heures on les entend tous, lectorat fidèle au cuir tanné du vieux Charlie, tout venant occasionnel achetant le grand fascicule chaque fois que ça pète sur sa couverture, journalistes d’ailleurs (là, c’est un peu facile) et même…  ceux de Charlie, les survivants, et  les venus depuis. On les entend dire – Charlie enfermé dans son bunker, c’est tout simplement impossible… comme une erreur soulignée en rouge, un oxymore ahurissant, le grand fauve des savanes enfermé ! Evidemment ! Pile, 3 ans après l’incroyable et l’indicible.  C’était hier, ceux de Charlie. Nous tous tombés par terre devant radios et  tv, nous tous «  je suis Charlie  » ; dégoulinant, noir, sur la façade du Palais des festivals de Cannes où je me trouvais et où j’ai défilé le 11, avec à mon bras une tantine de bien plus de 80 ans, qui n’avait jamais manifesté ; clignotant, le Charlie – ce n’était pas le moins étonnant – au fronton du Vinci des autoroutes, partout, dans la moindre boutique, le plus petit espace libre d’affichage au coin des rues, papillons noirs qui rassemblaient alors presque le monde entier, passeport tenu à bout de bras ; du simple, du presque tout : la liberté d’expression. Ils seraient encore aujourd’hui, aux derniers sondages, à se revendiquer de ce « je suis Charlie » à hauteur de plus de 70%, en France, ce qui est énorme quand on sait à quelle vitesse tournent les opinions et leurs modes moutonnières. Alors, comment traiter les Charlie, hic et nunc ? Quand on mesure ce qui reste (et peut-être augmente) de haine et de menaces vis à vis de ce que représente Charlie vu de la lorgnette de l’intégrisme pur et dur, de son bras armé terroriste, bien  vivace nonobstant la perte territoriale du fameux califat du Moyen-Orient (quand E. Macron dit que la menace future viendra de l’Afrique sahélienne, il a vu juste ; rien n’est fermé dans la terrible entreprise, loin s’en faut).  Pour ces djihadistes, l’esprit-Charlie est tellement autre chose que ce qui s’entend pour nous, a minima : liberté d’être impertinent dans un journal satirique. C’est que Charlie, ces gens le comprennent au cœur, et ne sont pas à ce titre, prêts à lâcher la cible. L’esprit Charlie, et son compère, celui du 11 Janvier, que même un Hallyday descendu de sa planète Amérique a chanté et plutôt bien, c’est la quintessence de la menace contre eux, quelque chose d’opérationnel contre le noir du drapeau de Daech : sourire et joie, collectif et valeurs, culture et rire, surtout, et gens debout… Et on penserait que deux dizaines de types, même de l’ importance de la Rédaction de Charlie, auraient suffi à étancher leur soif ! Les menaces sont bien là – toujours aussi implacables – nominatives ou non, terrifiantes. La fatwa rôde ; demandez donc à Rushdie s’il est content de sa vie plus qu’à l’ombre… En langage-renseignements, protéger c’est banalement mettre en œuvre des stratégies empêchant la mort du menacé ; or Charlie est encore menacé. Dans le quotidien des siens, certainement, mais la démocratie laisse à chacun le choix de sa vie. Dès que le professionnel entre en scène, une plus ou moins discrète protection des journalistes existe – on s’en réjouit – et le local est un parfait mystère, donc une cache à souris, un bunker ou toute autre appellation. Qui d’entre les citoyens qui se réclament de l’esprit de Janvier pourrait le regretter au motif que « l’esthétique – Charlie » en souffrirait un brin ? ou – inconscient, peut-être, l’idée qu’on se faisait d’eux, et un certain deuil à mener. Que les journalistes, eux, en sentent le poids lourd et pour le moins inconfortable, on l’admet sans peine et on ne peut qu’être dans l’empathie, mais, le prix d’ une vie ? plus largement, la possibilité d’écrire et de publier encore… L’esprit Charlie et du 11 Janvier est sans doute là, dans cet entresol de résistance, tandis qu’en surface d’autres facettes de cette longue guerre se déploient, et qu’on se doit chacun à sa façon, et de mille et parfois minuscules manières de soutenir. Si l’on est de ce Janvier-là, le gris du bunker est non à accepter de façon soumise, mais à prendre en compte dans raisonnements, argumentaires positionnements.  Me viennent des images et surtout des mots  de l’été 40 à Londres, d’un autre bunker, celui du vieux lion Churchillien, qui savait que résister n’est pas toujours opération en plein soleil… Passe actuellement sur les écrans, sur ce sujet, un film anglais plus factuel et sérieux, que franchement époustouflant, qu ’on peut regarder à l’aune de la problématique Charlie ; son titre dit beaucoup  : «  les heures sombres ».  Soutenir en commençant – prosaïquement – par l’économie de la chose : acheter au moins de temps en temps ce Charlie qui rame, comme la presse écrite, plus que les autres, symboliquement. Je le dis d’autant plus que je crois n’avoir jamais acheté Charlie dans ma maison Monde/Libé quelquefois, et l’Obs, toujours, ne louchant que sur ses couvertures colorées, pour en deviser chez moi… S’intéresser aux demandes pressantes auprès du gouvernement, de la rédaction de Charlie, sur le poids financier de « leur » protection,  qui leur incombe en grande partie et les étrangle. N’est-ce pas de l’ordre de la citoyenneté – donc de l’effort d’aide de nous tous, que relève cet appel au secours ? L’argent mis ailleurs – j’y pense, je n’oublie pas, à ce qui concerne l’impôt sur la fortune ! peut faire un détour par Charlie, la liberté d’expression, la laïcité, qu’il porte. C’est ça l’esprit de Janvier et c’est à tenir longtemps, à bouts de bras ; respirez ! la route est  longue !    « Des millions de regards De larmes à peine essuyées Des millions de pas sur les boulevards… Un dimanche de Janvier… » disait Johnny   Oui, quelque chose comme ça.

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