De la vertu en politique
En des temps marqués par un moralisme renaissant et le soupçon généralisé porté sur la probité du personnel politique, un terme semble absent, un terme dont la ringardise même prohibe un emploi qui apparaîtrait par trop ridicule : la vertu ! La vertu pourtant a été le leitmotiv de la philosophie politique du XVIIIème siècle. Déjà Montesquieu, dans la préface de L’esprit des lois , invite le lecteur à « se vouer, par vertu politique, à l’égalité devant les lois de la République » (au sens de la chose publique, de l’état). Rousseau, quant à lui, dans un ouvrage assez méconnu, Lettre à la vertu , définit cette dernière comme le souci du bien commun (notion thomiste, s’il en est !) : « mon bonheur, écrit-il, dépend du concours de mes semblables ; il est manifeste que je ne dois plus me regarder comme un être individuel et isolé, mais comme une partie d’un grand tout ». Et, évidemment, le modèle indépassable demeure la virtus romaine. Diderot, dans son Essai sur les règnes de Claude et de Néron , assimile le vertueux au philosophe et le vicieux au tyran. Il interpelle, comme suit, Sénèque, condamné à mort par Néron : « dis-nous, grand philosophe, quelle fut alors ta consolation et ta force : la vertu ! La vertu qui te restait et dont le tyran ne pouvait te dépouiller ». L’historien anglais, Edward Gibbon, auteur d’une monumentale History of the decline and fall of the Roman empire , en fait d’ailleurs LE moteur principal de l’histoire : « the vast extent of the Roman empire was governed by absolute power, under the guidance of virtue and wisdom ». La chute de Rome coïncidant ainsi précisément avec l’amollissement des mœurs et la prévalence de la corruption… Cette idéologie de la vertu n’en resta pas à un niveau purement théorique ; elle fut mise en pratique – et de quelle manière ! – par la Révolution française. Robespierre inaugura, en effet, ce que Louis Madelin nomme « le règne de la vertu ». Il le dit très clairement lui-même le 25 décembre 1793 dans un discours devant la Convention : « le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu ; en révolution, il est à la fois la paix et la terreur ». Il convient donc d’éliminer les vicieux – il vise, entre autres, Danton et Hébert : « la vertu est en minorité, la vertu a toujours été en minorité (…) que le tribunal révolutionnaire soit actif contre le crime et finisse tout procès en 24 heures ». Saint-Just de son côté surnommé « l’ange de la pureté révolutionnaire » ne cessa de dénoncer les turpitudes de la noblesse et du clergé, dans un poème au titre évocateur : « L’Organt de 1792, poème lubrique en XX chants, par un député de la Convention nationale ». La pureté – religieuse ou révolutionnaire, peu importe – si justement décriée par BHL (cf. La pureté dangereuse , 1994) risque, en permanence, de dégénérer en un puritanisme. Cette vertu, dont jadis le divin marquis conta les malheurs, servit de mobile à tant de crimes qu’il est permis de lui préférer une – plus cynique mais plus réaliste – tolérance aux humaines imperfections. Ce que ne peut, en définitive, supporter le peuple dans les fautes des élites, c’est qu’elles lui renvoient, comme dans un miroir, son propre délabrement moral. Pour ma part, j’incline plus vers un Talleyrand plus que vers un Saint-Just…