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D’un février, l’autre…

Difficile, quoi qu’on en dise, de ne pas regarder en arrière, en ce début 2014 ! Pas de semaines, sans le plus ou moins fourni lot de manifs, de cris et banderoles, sur le pavé des villes… ça sent pas bon – qui ne le dit ! Fumet d’extrêmes-droites en goguette, nourries à la « va comme je te pousse » de toutes les protestations et frustrations du moment ; et il semble que sur le terreau républicain, ne semble plus pousser que ça ! Ainsi, deux dimanches, sous la pluie, ont alterné haine franche et violente, et slogans réactionnaires, sortis – ils existent en sous-couche constante et inamovible de notre société depuis la nuit des temps politique – de leurs églises intégristes et de leurs salons du XVIème arrondissement, serre-tête sur carrés sages, en guise de fanions… Hétéroclite mélange des cris et des fureurs – seuls ciments… – une certaine France, floue, masquée, grimaçante… et de frémir devant le retour d’aussi sombres cortèges. 80 ans derrière nous – un hiver sans doute plus froid, dans les rues de Paris ; l’écho du 6 Février 1934… On entend presque le son des clairons, le sifflement des sabres, et le bruit des balles. 34.000 manifestants, presque tous de Droite dure et d’extrême-Droite, ferraillant devant le Palais Bourbon – on disait « la Chambre » –  aux cris de « à bas les voleurs ; à bas les assassins ». On relèvera des centaines de blessés et 15 morts… Il y aura, dans l’Histoire, un avant et un après 6 Février. Une IIIème République vieille et fourrée de notables alternant au pouvoir ; des institutions marquées au coin d’un vieux parlementarisme usé, ne favorisant pas toujours la solidité des gouvernements. Sans doute, un climat d’anti-vie politique (des « sortants, des pourris ») alimenté – déjà – par ce fossé peuple/élites, dont on nous rebat aujourd’hui les oreilles… Pas de femmes ; un échiquier où le bon vieux fonds de Gauche échouait aux Radicaux, laïcs et francs-maçons, piliers des provinces. Les Socialistes – petits frères ennemis des grands Communistes – faisaient figure – heureux temps – de rêve un peu magique. A Droite, les conservateurs tentaient de conserver et ne remuaient vraiment que quand la gauche menaçait. L’extrême-Droite très active pêchait ses troupes dans le vivier des anciens combattants, et dans un nationalisme tout pétri de germanophobie traditionnelle, attendant la sinistre germanophilie à venir. Jeunes, les mouvements fascistes fascinaient depuis l’Italie ; Hitler venait juste de faire son coup de force légalisé ; l’Espagne mijotait à tous petits bouillons… Ils étaient cependant quand même quelques-uns, ceux qui, chez nous, prédisaient que « le fascisme, à nos portes et bientôt dans nos murs… ». Depuis avant 33, en Allemagne, rampaient pourtant les premiers camps, et la peur chez les Juifs. Martin Niemöller allait sous peu écrire le « Quand ils sont venus chercher les Communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas Communiste… ». La Crise avait frappé, partout (bizarre mondialisation ébranlant les certitudes), depuis ce Vendredi Noir de 29 à Wall Street ; la Grande Dépression américaine avait sonné à nos portes dès 31 ; les classes moyennes – déjà elles – étaient particulièrement visées : 273.000 chômeurs français en 1932 ; 340.000, en 34. On sourit, mais de quoi ? Seules les proportions et les effets sociaux sont d’importance. Ils sonnent étrangement semblables. Rien de pareil ; tout de pareil. Le même regard perdu chez l’ouvrier – le petit, le non-qualifié d’alors et maintenant. L’impression étrange de la non-reconnaissance, du déclassement, de la fin d’un monde… La guerre – la Grande – était dans toutes les mémoires ; « plus jamais ça ! » avait-on dit, mais ce bruit en Italie, en Allemagne, finissait par ébranler ! Alors, tout était prêt – comme aujourd’hui – pour la montée de l’anti-parlementarisme ; de nos jours s’y attelle, en plus, une bonne dose d’anti-intellectualisme. Détonateurs – il en faut toujours un – les scandales financiers : Marthe Hanau, la tueuse de petits épargnants ; Oustric, le fumeux banquier ; les sous, les nôtres ! La menace, la suspicion, déjà ! Stavisky, l’entubeur de ministres, le copain des coquins, le « suicidé » juste à temps, pour couvrir un  Chautemps – le président du conseil, et les siens… Les cortèges, en ce soir du 6, étaient d’extrême-droite affichée ; quelques pauvres citoyens protestataires – déjà – marchaient aussi. Les Ligues tenaient le pavé : Action Française de Maurras : Camelots du roi : Croix de feu du colonel De La Rocque : ligue des contribuables – tiens donc ! Autour, une myriade de mouvements divers d’anciens combattants. Les mots d’ordre comprenaient – solidement hissés – la xénophobie et l’antisémitisme, côtoyant l’hostilité à la Franc-maçonnerie ; les Juifs étaient – déjà, priés de dégager, et vite !  Lit de tous les fantasmes et mythes du complot à venir. « Il faut que le gouvernement se rende compte que le peuple est réveillé, qu’il avance, décidé à en finir avec les internationaux révolutionnaires et les politiciens pourris ». Incontestablement, les troupes des manifs actuelles sont  plus chaotiques, moins encadrées, plus dans le refus de tout et la difficulté à cerner des objectifs. Certes, il y a du « non ! » dans l’air et du « c’est la faute à… », du sale gosse qui fait son caprice, mais… qu’arrive le bonhomme providentiel apte à ramasser tout ce qui traîne sur le pavé, et la chanson pourrait changer de rythme ! Quant à la violence infinie de ces troupes de la Bastille, il y a peu, qui d’entre eux aurait eu le culot d’écrire : « on me dira qu’il est scandaleux d’arracher des bancs, de déraciner des arbres, de jeter sur la voie publique des grilles d’arbres ; il est certain que nous avons cherché le désordre dans la rue ; les manifestations n’ont pas d’autre but ! » (Action Française). Au soir du 6 Février 34, le gouvernement Chautemps démissionna – sous la pression de la rue, une première ! Daladier lui succéda. Les 9 et 12 Février, la Gauche, enfin réunifiée, manifesta aux cris de « vigilance antifasciste ! ». Les 9 et 12 ! entendez-vous, notre Gauche à nous ! vigilance citoyenne et républicaine… il est plus que temps.

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