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Dent pour dent

  Leur photo n’est pas là pour les transformer en martyrs. Pas de bons sentiments. Pas de mauvais non plus. Un effet de dégoût et de colère, encore, d’impuissance aussi mais pas pour « eux » en personne. Pour le vide que ce matin le NYT avait mis à leur place. Pas de débat, pas de questions. Le trouble dans lequel devrait plonger tout partenaire de l’idée de justice et avec elle de l’application de la justice dans un contexte démocratique semble loin de la une, absent, du moins certainement pas premier par rapport à d’autres sujets brûlants. Et pourtant, à tort peut-être, il est probable que c’est justement ici que siègent les prémices de l’idée d’une justice séculière. Dans le refus imposé, absolu, basique et fondateur de donner à aucun représentant de la loi qui prononce une sentence le droit sur la vie d’aucun citoyen que ce soit. Un Principe. Un principe premier. Pas même applicable dans la reconnaissance de la marge d’erreur intrinsèque à toute sentence ou dans la nécessité éventuelle de recourir à une potentielle innocence, à un envisageable vice de forme de la procédure ou à une rétractation des témoins qui amèneraient le jugement à être révisé. Un principe fondé sur une posture qui précèderait l’acte de justice lui-même, lui attribuant ses limites en identifiant préalablement son cadre. Un principe garantissant le fait qu’un état de droit soit, dans sa définition même, au-dessus des humaines passions et donc complètement exclu du choix de la vie laissée ou de la mort infligée qui est un droit aveugle pris sur les victimes par les criminels et seulement par eux. La chaîne des acteurs officiels que cette mort programmée entraîne en son sillage implique les juges, les gardiens de prisons, les médecins, les avocats, les familles de victimes, les chimistes, les industries pharmaceutiques et malgré leur capacité à se retrancher partiellement de leur responsabilité derrière l’ordre donné d’en haut les tient dans un questionnement sans fin et sans issue sur les moyens d’infliger la peine de mort et les conséquences sur l’hygiène morbide que ces moyens entraînent. Rien ne « marche » jamais dans ce domaine de la vie à éliminer et c’est un rien qui, bien que constamment amélioré pour aseptiser l’horreur de l’acte, ne les lavera jamais de la nature de cet acte commis sur un être vivant : un meurtre. Un meurtre et rien d’autre. C’est par la validité d’un Principe, d’un principe fragile mais complètement contingent aux valeurs de l’idéologie ou, peut-être mieux, de l’idéal démocratique qu’un état dit de droit se doit de protéger dans l’absolu la vie de ses citoyens quels qu’ils soient. Les USA sont plongés dans les ténèbres, noyés dans la confusion et l’absence de réflexion et de point de vue éthique sur ce qui définirait un projet moral resituant l’American dream face à ses impasses évidentes. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, une forme d’autisme politique les amène, même dans les journaux libéraux comme The Nation, à ne pouvoir plaider que dans le cadre d’une vision empathique de l’exécution de l’accusé. Au même niveau de débat donc que ce qui transforme une application judiciaire en une décision criminelle légitimée par cette même empathie pour la victime. Pour franchir ces contradictions et s’en libérer, il est indispensable de pouvoir sortir de la subjectivité, hissant ainsi le rôle des juges à l’exercice de la clairvoyance en les protégeant contre eux-mêmes et en les dédouanant de ce terrible pouvoir de tuer en toute impunité tout en assumant que la disparition de la vie du coupable potentiel est un simple rééquilibrage de forces. Cette limite infrangible donnée est le pas premier qui sécurise les bords de ce qui, de par l’essence d’une justice humaine rendue, ne sera jamais qu’une approximation sans cesse reconduite et à définir au coup par coup. Une science pour toujours inexacte déterminant la nature de la faute et la validité de sa sanction. Le pas de départ vers une métaphorisation de l’exercice du pouvoir et avec elle une posture un peu plus claire prise sur les liens confus entre le vice et la vertu.   Elisabeth Guerrier

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