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Fin de l’Occident, naissance du monde, Hervé Kempf

La terre du trou Il est des livres qu’on ne regrette pas d’avoir lus tout en déplorant qu’ils aient dû être écrits. C’est hélas le cas de plus en plus fréquent d’essais portant sur cette société capitaliste dont les Français, en cela plus lucides ou plus alarmistes que tout autre peuple au monde, voient, avec un incurable sentiment de déréliction, les excès annoncer un déclin catastrophique. Hervé Kempf est un journaliste engagé dont les ouvrages sont traduits dans de nombreuses langues et plusieurs fois primés. Il couvre au journal Le Monde le domaine environnemental. Autant dire qu’il n’a pas que des amis. D’autant que ses réflexions sur l’écologie l’ont précédemment amené à dénoncer les oligarchies qui dirigent le monde désormais improprement qualifié de démocratique. Dans ce nouveau livre dont on ne peut recommander la lecture sans prévenir qu’elle vous réserve peu de raisons de vous réjouir, l’auteur explique de façon difficilement contestable que l’espoir d’une mondialisation du niveau de vie occidental est tout simplement une utopie. Après que l’humanité s’est heurtée pendant des millénaires au mur des ressources énergétiques, elle a soudain fait un bond prodigieux grâce à quelques progrès techniques favorisés par la découverte du charbon en Angleterre et du coton en Amérique. Je résume, bien sûr. L’erreur sur laquelle nous vivons, et que les fameuses oligarchies ont un intérêt obtus à entretenir, est que le modèle de bonheur par la consommation qui fait rêver des milliards d’individus deviendrait progressivement leur réalité et assurerait enfin l’harmonie et la paix universelle. Notons au passage, car Hervé Kempf y tient à juste titre, que ces milliards d’individus ne sont plus seulement des ressortissants de pays pauvres, lesquels ont tous désormais leurs oligarques milliardaires, mais aussi et de plus en plus des laissés pour compte des pays riches. Mais pourquoi diable ne pourrait-on exporter dans nos anciennes colonies et dans nos banlieues ce merveilleux bien-être dont nous jouissons béatement ou presque ? Simplement parce que nous nous heurtons à ce nouvel obstacle qu’est le mur écologique. Toujours sommairement résumée, la théorie, hélas fort convaincante de Kempf, est que la planète ne peut supporter les dégâts écologiques qu’engendrerait la poursuite, au même rythme exponentiel que ces dernières décennies, de la consommation industrielle, agricole et même de services. Paradoxalement, c’est moins par manque de ressources naturelles non renouvelables, quoiqu’elles soient de plus en plus coûteuses à exploiter, non plus que par les difficultés de mise en œuvre et le faible rendement énergétique des énergies renouvelables, que par l’impact sur la biosphère de leur utilisation massive que le projet d’une société mondiale de la consommation (du gaspillage) est une pure aberration. La terre dispose encore de suffisamment de combustibles fossiles pour assurer en quelques décennies une élévation de la température de plus de 2 degrés. Or il est incontestable que ce seuil est celui au-delà duquel des catastrophes humanitaires sont inévitables. De tout ceci, que je résume à grands traits maladroits que l’on réfutera moins aisément à la lecture du livre d’Hervé Kempf, celui-ci tire la leçon évidente d’une simple alternative : prendre rapidement le virage exemplaire d’une consommation limitée ou se préparer à des affrontements violents. Bien sûr, l’auteur développe autant qu’il le peut les moyens d’éviter cette violence en réformant toutes nos habitudes de pays riches. Tant qu’il s’agit de renoncer à trouver dans nos supermarchés cent types de yaourt différents pour n’avoir plus le choix qu’entre une dizaine, nous le suivons docilement. Nous renonçons de même volontiers à tout ce dont nous ne disposons pas : voitures de grand luxe, yachts… Il sera déjà plus difficile de limiter le nombre de nos voyages d’agrément en avion dévoreurs de carburant, de nous priver de la possession de multiples écrans gourmands en métaux rares, de la consommation de boissons ou de desserts sucrés, quoique nous soyons inquiets de l’obésité qui nous gagne, que nous réduisions spontanément nos frais kilométriques et que la saturation nous guette de ces gadgets technologiques dont on nous impose le renouvellement compulsif. Mais le plus grave est qu’il ne faut pas seulement nous battre vertueusement contre nous-mêmes, ce que la perspective d’un partage plus équitable peut rendre gratifiant, mais d’abord contre ces redoutables oligarques internationaux qui ont fait main basse sur la finance mondiale et ont tout intérêt (à court terme) à nous convaincre de continuer à écouter le chant des sirènes publicitaires et leurs rodomontades sur la crise et à rêver tout en payant de nos impôts les erreurs de stratégie qu’ils accumulent. Or c’est de ce double combat que dépend la naissance d’un nouveau monde et la fin honorable de l’Occident. À ce stade de ma recension du livre de M. Kempf, je m’efface, conscient de ne pas être capable de résumer en quelques lignes sans la trahir la vision désormais plus philosophique que journalistique à laquelle l’auteur consacre la dernière partie de son livre. Il m’est venu en le refermant, le souvenir d’un autre livre qui, lui, a enchanté mon enfance : Le sapeur Camember , dû au talent de Marie-Louis-Georges Colomb, dit Christophe, ouvrage daté de 1890, d’une haute portée morale et sociale, dénonciateur visionnaire de certains comportements invariants. Le sergent Bitur, supérieur hiérarchique et respecté du sapeur Camember, ordonne à ce dernier de faire disparaître dans un trou préalablement creusé par le docile militaire un tas d’ordures qui dépare la cour de la caserne. Mais après avoir éliminé les ordures, le sapeur se trouve embarrassé de la terre du trou. Il en réfère au sergent qui lui fait finement observer qu’il suffit de creuser un autre trou que Camember remplit aussitôt de la terre du premier. Mais le voici perplexe devant le tas de terre issu du deuxième trou. « Sergent ! réitère Camember, …ousque j’vas la mettre celle-ci ? – S’pèce de double mulet cornu ! m’ferez quatre jours pour n’avoir pas creusé le deuxième trou assez grand pour pouvoir y mettre sa terre avec celle du premier trou ». Les lecteurs qui m’auront suivi jusqu’ici transposeront d’eux-mêmes.

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