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Existe-il une gauche « identitaire » ?

Le débat a été lancé par Mediapart, qui – sans même se poser la question – oppose « la gauche identitaire » à « la gauche qui vient »… celle de « Nuit Debout ». Il est vrai qu’une certaine inflexion s’est faite sentir dans le discours politique gouvernemental. Ainsi Manuel Valls n’hésita pas à déclarer, le 4 avril dernier, dans un discours consacré au Salafisme : « bien sûr, il y a l’économie, le chômage, mais l’essentiel, c’est la bataille culturelle et identitaire ». Relayait-il, par là, le récent livre de Laurent Bouvet , l’un des principaux animateurs de la Gauche Populaire, réseau de citoyens, qui – dixit leur site web – plaident pour une meilleure prise en compte des catégories populaires ? Le titre, à lui seul, résume le propos : L’insécurité culturelle . «  Si la montée des populismes, écrit Bouvet, témoigne d’abord d’une insécurité économique qui saisit la société toute entière ou presque, elle témoigne aussi d’un doute profond et insidieux sur ce que nous sommes, sur qui nous sommes, dans un monde très largement illisible, en plus d’être anxiogène  ». D’où « une indispensable lecture culturelle, certains diraient identitaire ». Et l’auteur de brocarder «  les minorités qui combattent davantage au nom de leur reconnaissance identitaire et de leurs différences que de leur inclusion dans la société telle qu’elle est  ». Toutefois, ce faisant, Bouvet n’échappe pas à une dangereuse contradiction : d’un côté, il dénonce, à bon droit, le « culturalisme », le fait de «  réduire des individus, des groupes, des comportements à un déterminisme culturel, quelle que soit sa nature : ethno-racial, religieux, de genre, régional, linguistique, etc. Il débouche sur une forme d’assignation identitaire, voire d’essentialisme  » ; mais de l’autre, il exige des mêmes minorités, afin qu’elles s’intègrent, une sorte de conversion « culturelle » : il leur faut « être ou devenir autre chose, dans l’espace public ou social, de ce que l’on est identitairement ». Cette « autre chose » consistant en un « républicanisme du commun, au sens de bien commun et au sens d’habituel, de quotidien, sinon de banal ». Radicalement hostile au « multiculturalisme », Bouvet promeut donc une sorte d’identitarisme républicain. Identité, certes, acquise par libre choix et non transmise par l’environnement, mais identité/culture quand même. La « culture » de la République suscite également une fierté non dissimulée de la part d’Élisabeth Badinter. Appelant, dans une interview au Monde du 2 février, au boycott des marques qui se lancent dans la mode islamique (foulard ou niqab fantaisie), elle s’en prend à «  une partie de la gauche, imprégnée de l’idée que toutes les cultures se valent, et que nous n’avons rien à leur imposer  ». Comment ne pas rapprocher pareille déclaration de celle que Claude Guéant avait faite, le 5 février 2012, dans un colloque organisé par le – très droitier – syndicat étudiant, UNI ? «  Toutes les civilisations, toutes les cultures, au regard de nos principes républicains, ne se valent pas  ». Le « culturalisme » – républicain ou pas – dégénère, hélas souvent, en un authentique essentialisme. Alain Finkielkraut – qui a par ailleurs toute ma sympathie – en a donné l’exemple dans l’émission L’esprit de l’escalier du 27 mars, animée par Élisabeth Lévy, sur RCF. «  J’ai peur qu’il y ait de plus en plus de non-Europe dans l’Europe », se lamente-il. Il se plaint, en effet, d’une véritable déculturation, notamment linguistique, en raison de cette nouvelle lingua franca, cet anglais de cuisine que l’on nomme « globish ». « Faut-il que le Français ait perdu l’amour de sa langue pour parler ainsi ? » déplore-il. Et de faire une – curieuse – citation de Levinas : « c’est dans cette langue (le français) que je sens le suc du sol  ». Culture, culture, quand tu nous tiens ! En entendant ces mots, je ne pouvais m’empêcher de songer à Maurice Barrès écrivant dans Scènes et doctrines  : «  faute de sang grec, je ne comprends guère Socrate et Platon » . Sic ! De la culture au sang, le pas est vite franchi. L’identité culturelle se dégrade facilement en identité biologique. Sans aller jusqu’à évoquer le « sang impur » qui abreuve les sillons de notre hymne national, peut-on sérieusement concevoir je ne sais quelle « civilisation » républicaine ? A trop vouloir rassurer des Français, à l’identité – il est vrai – incertaine, on risque de tomber dans le piège essentialiste : il y aurait une « essence » de la nation faite de « républicanitude ». Variante sympathique mais illusoire de la « francité », tant vantée par Richard Millet… Et si on en finissait, une bonne fois pour toutes, avec l’identité unique ? Nos « moi », comme dit BHL, forment des foules. Je est multiculturel, car, à la manière de Rimbaud, « je est un autre ».

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