Finance et Ethique
Merci à ces deux éminents économistes de nous permettre d’utiliser leurs propositions pour un enjeu majeur du monde actuel, un enjeu-cœur : énoncer des solutions pour l’assainissement des comportements financiers. Éthique de la finance ? « un paradoxe ? un oxymore ? ». Nous prendrait presque l’envie d’en sourire. « La finance, voilà mon ennemi » a dit un jour de sa campagne, notre Président, et c’est assurément ce dysfonctionnement constant amarré dans les représentations de chacun qu’il désignait. Aussi, ce rapport, au contenu exigeant, et à la forme accessible à tout un chacun, est-il, non seulement bienvenu, mais semble être la vraie urgence du moment. Quelques pages serrées au bout d’un long travail d’amont, et en belle compagnie (J. Peyrelevade, ou JC Trichet, pour n’en citer que quelques uns, parmi autres chercheurs et acteurs de tout premier plan du secteur financier), posant sur la table une constatation : « l’homme moral quitte la salle quand l’« homo oeconomicus » y entre » (Daniel Cohen), et – non moins fermement – un objectif : « des pratiques financières s’astreignant à se conformer à des principes et des procédures, visant à garantir que tous les autres acteurs concernés soient traités équitablement avec respect et responsabilité ». Un utile balayage des théories économico-financières, de l’Antiquité à nos jours, s’arrête à Smith, au XVIIIème siècle. L’émancipation économique construit un « homo oeconomicus » vécu comme froid, calculateur, déterminé. Les comportements égoïstes de l’individu priment, et l’autorisent à se libérer de la morale – de la religion, aussi, assises sur le code binaire juste/injuste, bien/mal ; laquelle morale admet que l’individu puisse faire preuve d’altruisme. Le divorce éthique/finance est là, acté. Un autre penseur, plus contemporain – il a reçu le prix Nobel d’économie en 1978 – Herbert Simon, est convoqué, lui, pour souligner que la « rationalité procédurale » a été pratiquée de long temps, de façon erronée dans le domaine financier. Il s’attache à démontrer à l’appui des acquis des sciences humaines et sociales, que l’esprit humain, là comme ailleurs, ne raisonne pas de façon linéaire, et que les outils et instruments de mesure fournis aux décideurs ont été défaillants, par exemple, lors de la crise 2007/2008. Jean-Claude Trichet, n’hésitant pas à avouer : « appelé à prendre des décisions importantes dans la crise, je n’ai trouvé pratiquement aucune aide dans nos instruments de modélisation conventionnels pendant presque 3 trimestres ! Nous nous sommes sentis abandonnés par l’ensemble de nos outils analytiques ». Et de souligner, avec force, la faillite notamment des modèles mathématiques, en matière financière (« tous les évènements futurs ne sont peut-être pas probabilisables »). Aussi, l’éthique ramenée à nouveau fortement dans le champ – si étranger, semblait-il, depuis des lunes, de la finance – prend-il, dans ce rapport, à la fois des allures d’urgence enthousiasmante et de défit quasi irréalisable. Chiche ! a-t-on envie de dire, au bout de ces pages, se lisant facilement, et porteuses d’un fort coefficient de conviction. Mais, qu’est-ce-que l’éthique ? Pas la morale, dont l’arbitraire varie d’une société à l’autre ; l’éthique vise à l’universel. La déontologie ? Elle est trop propre aux professions, pour lesquelles elle délimite un périmètre de conduites adéquates. L’éthique n’est pas non plus l’autorégulation, puisqu’elle ne remplacera pas la nécessaire réglementation – échelle mondiale, sous l’égide de l’ONU. L’éthique voisine avec et comprend tout cela, selon les circonstances, mais représente autre chose : On est dans la gouvernance, le management des systèmes financiers : le nouvel homo oeconomicus ? L’humain, et ses conduites, ses pratiques, à coup sûr. Retour sur un paramètre perdu de vue. C’est la part de la seconde partie du rapport : entrer dans le « dur » ; décrire quelques espaces du monde financier (les choix sont éclairants ; trading pour les banques d’investissement, allocation de crédits pour les banques de dépôt, conseil en investissement financier pour les banques privées) et – fondamental – quelques procédures d’assainissement éthique à privilégier. Ici, la transparence et la lutte contre l’opacité, là, la lutte contre la misogynie ; le respect des clients en dénominateur commun. Le type de rémunération des professionnels dans ce secteur-là, et – refrain bienvenu – l’éducation du consommateur ; nous, donc, pas seulement l’élite des professionnels, des « sachants » derrière les vitres opaques des buildings des grandes banques. Le rapport dit : « nous tous », et ce n’est pas la moindre de ses originalités et de ses utilités. Quand on parcourt ces lignes – étayées, pas à pas sur des données et références les plus précises qui soient – on ne peut, nous, citoyens, qu’être reconnaissants à la philosophie du rapport : redonner sa place à l’homme ; qu’il soit acteur ou client, réinsuffler, là où l’on pensait qu’il n’y en avait plus, de l’humanité pour mieux faire fonctionner des rapports qui mettent en interaction – on l’aurait presque oublié – des « gens ». Philosophie très humaniste, dans un secteur en apparence (hélas, souvent, en réalité) si déshumanisé. Utopie ? Que non pas ! Ne s’agit-il pas d’inciter tous les acteurs, y compris les moins intègres, à œuvrer dans ce qui reste leur intérêt, par l’éthicisation des pratiques ; écouter tous les acteurs. Constater, au bout, qu’en modifiant les procédures, on ne nuit pas aux performances ! Jouer sur des pratiques, pour améliorer les objectifs. Vouloir faire bouger – en apparence, presque rien – procédures et savoir-faire ; en réalité, presque tout : réintroduire l’homme vivant, et les savoir-être, à tous les échelons du monstre-finance. Oui, c’est bien ça ; on dit : chiche ! Et on signe – simple consommateur, acteur en devenir à notre place – en bas du contrat proposé : une alter finance… Annexes Rapport 2014 aux Nations Unies : recherche de solutions pratiques pour l’assainissement des comportements financiers et la définition en 2015 des futurs objectifs pour le développement des Nations Unies. Juin 2014 Ont participé aux comités de réflexion pour ce rapport : Pr. John Hendry (Fellow of Girton College, University of Cambridge, Professor Emeritus of Management at Henley Business School, University of Reading, author of the book Ethics and finance , Cambridge University Press, 2013. London, United Kingdom) Pr. Peter Koslowski (Professor of Philosophy, especially Philosophy of Management and Organization at the Vrije Universiteit Amsterdam, Netherlands) Jacques de Larosière (Gouverneur de la Banque de France entre 1987 et 1993, Directeur général du FMI entre 1978 et 1987, Président de la BERD entre 1987 et 1993) Alexandre Liebmann (entre en 2001 à l’Inspection Générale de la Société générale, puis rejoint en 2008 la Direction de la Stratégie du Groupe avant d’être nommé en 2012 responsable du desk Europe centrale et orientale de Société Générale Private Banking. Il a reçu en 2013 le Prix « Meilleur jeune banquier privé » décerné par les Private Banker International Global Wealth Awards. Zurich, Suisse) Jean Peyrelevade (Président de Suez entre 1983 et 1986, Président de la banque Stern entre 1986 et 1988, Président de l’UAP entre 1988 et 1993, Président du Crédit Lyonnais entre 1993 et 2003, Président du Conseil de surveillance de la banque Leonardo & Co entre 2004 et 2013, Managing partner dans la banque d’affaires Aforge De Groof, Paris, France) Natacha Pouget (ancienne trader chez Lazard, Exane BNP-Paribas et HSBC, directrice du développement de l’Institut de l’Entreprise depuis 2013, Paris, France) Jean-Claude Trichet (Gouverneur de la Banque de France entre 1993 et 2003, Président de la Banque centrale européenne entre 2003 et 2011) Arthur COHEN, activcom92@gmail.com Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. Extraits du rapport : Conclusion : Que peuvent les Nations Unies ? « …Ce rapport n’est évidemment pas parvenu aux termes des discussions qu’il faudrait mener sur le sujet. De nombreux métiers n’ont pas été évoqués et de nombreuses problématiques n’ont pas été traitées avec l’ampleur qu’elles mériteraient. L’objectif de notre rapport nous paraît toutefois rempli : nous avons montré la pertinence et la légitimité d’une approche éthique de la finance et avons défini quel type d’approche éthique pouvait s’avérer opérante et efficiente. Nous pensons que l’application de nos recommandations se ferait pour le bénéfice des épargnants et des citoyens du monde, mais également pour le bénéfice du secteur lui-même : sans en interdire ou sans même en limiter la recherche de profit, la mise en place de procédures éthiques dans tous les métiers et à tous les niveaux du management des entreprises financières favoriserait la soutenabilité des systèmes financiers. Cette éthique procédurale serait d’ailleurs parfaitement compatible avec les morales (les normes et les valeurs idéologiques ou sociales) de chaque région culturelle et renforcerait le respect des Droits de l’Homme sur les marchés. Il est toutefois indéniable que cette éthique procédurale, même parfaitement appliquée par tous les acteurs du secteur financier, appelle à la mise en place d’une réglementation internationale unique et cohérente, protégée et mise en œuvre par un régulateur international unique placé sous l’égide des Nations Unies. L’éthique procédurale que nous avons ici présentée est un solide relais dans le secteur financier pour l’application du Pacte mondial et de ses Dix Principes. Dans son principe, elle n’est d’ailleurs pas spécifique à la finance et pourrait s’appliquer à tous les secteurs de l’économie. Pour être pleinement efficace, elle devrait cependant être développée et enseignée, peut-être par le canal de l’Université des Nations Unies (UNU) ou par l’Institut des Nations Unies pour la Formation et la Recherche (UNITAR). Nous savons d’ailleurs que cet Institut avait cherché à mettre au point un ambitieux programme de formation sur le thème « Éthique et finance », qui n’a pas encore vu le jour. Nous encourageons l’UNITAR à poursuivre dans cette voie et mettons nos forces à sa disposition. Enfin, il nous paraît pertinent d’envisager la délivrance d’un certificat de pratiques éthiques qui serait décerné aux acteurs financiers, pour les encourager et les récompenser dans leur désir d’appliquer nos recommandations… »