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Identités nationales : deux poids et deux mesures

L’affaire catalane donne l’occasion de mesurer le gouffre qui sépare les vieilles métropoles dominantes, impérialistes et colonisatrices des jeunes « nations » en mal d’indépendance, quand il s’agit d’« identité » : celle des premières pue le nationalisme, le fascisme, le racisme – j’en passe et des moins bonnes – celle des secondes, au contraire, sont l’objet d’attendrissement, de soutien et de solidarité en tout genre ; bref les médias – Mediapart en particulier – se rejouent le « printemps des peuples » à la mode dix-neuvièmiste… Retour au projet émancipateur de la philosophie des Lumières. A partir de la notion rousseauiste de souveraineté populaire, l’on en vint à considérer, non plus l’individu-citoyen en tant que partie d’un peuple, mais le peuple comme un tout, en particulier les peuples vassaux sous domination étrangère. « Un peuple a la faculté de conquérir son indépendance » proclame la déclaration des droits de 1793, concoctée par Condorcet et l’abbé Grégoire. Le romantisme aidant, l’attention se focalisa sur les « nations » au passé glorieux, mais tombées sous le joug de puissances oppressives. L’on plaignit ainsi les Polonais, écartelés depuis le partage de la Pologne (1772), entre Russie, Autriche et Prusse ; les Grecs martyrisés par les Turcs ; ou encore les Hongrois assujettis aux Habsbourg. Le fameux « printemps » commence, de fait, dès 1830 avec le soulèvement de Varsovie. Le vieux Lafayette s’écrie : « toute la France est polonaise » ; Mickiewicz, le Victor Hugo polonais, chantre de la grandeur identitaire de son pays, prophétise : « la Pologne se relèvera et libérera toutes les nations d’Europe de la servitude » ; notre totor national, quant à lui, réservant sa sollicitude aux carbonari italiens : « n’ayez qu’une pensée, leur dit-il, vivre de votre vie à vous ». Mais évidemment, c’est en 1848 que les multiples « identités » éclosent tels des champignons. « Pour les hommes de 1848, écrit l’historien britannique, Sir Lewis Namier, le principe dynastique représentait un règne arbitraire et autocratique ; celui de la souveraineté populaire, au contraire, s’identifiait aux droits de l’homme et à l’autodétermination ». Très rapidement cependant, une dérive organiciste se fait jour : le « peuple » ne forme qu’un organisme gigantesque, doté d’un seul corps et d’un seul esprit. Le Volksgeist (l’Esprit du peuple) est né ! Dans le Vormärz allemand de 1848, le professeur Mittermaier de Heidelberg, président du parlement insurrectionnel, déclare, dans un discours emphatique : « le géant s’éveille ! Le Volksgeist est ce géant. Il est éveillé » ; pour le philosophe allemand Jacob Gottlieb Fichte (1762-1814), une nation constitue une entité « supra-temporelle », elle se présente comme une « Hülle des Ewigen », une enveloppe de l’éternité. L’identité de la nation se veut donc organique, spirituelle et éternelle ; la race n’est plus très loin… Et cette question raciale hante effectivement le mouvement indépendantiste catalan. Heribert Barrera i Costa (1917-2011), premier président du parlement catalan, restauré après le franquisme, discourait sur la différence en intelligence entre les blancs et les noirs, et – à l’intérieur des blancs – entre Catalans et Andalous, un mépris à l’endroit des méridionaux qui rappelle celui d’Umberto Bossi, en Italie, le chef historique de la Lega Nord d’extrême droite, la ligue du nord, qui entend bien se séparer de ces siciliens pouilleux et autres gens du Mezzogiorno, pour former l’état de Padania. Tiens ! Encore une identité. Toutefois, et pour en revenir à la Catalogne, la palme du racisme identitaire revient sans nul doute à Jordi Pujol, leader du parti Convergència Democràtica de Catalunya, qui n’hésita pas à affirmer : « l’Andalou est un homme peu évolué, un homme qui, il y a cent ans, a souffert de la faim, et qui vit dans un état d’ignorance et de misère culturelle ». Rien d’étonnant, en réalité. Ces braves petites nations, à l’indépendantisme revanchard, cultivent une aigreur haineuse aussi bien à l’égard de leurs anciens maîtres détestés qu’à l’égard de ceux qu’ils jugent inférieurs à eux. Les nationalistes corses en fournissent un autre exemple : « Francesi fora » (dehors les Français), mais – mais également et non moins – « Arabi fora » (dehors les Arabes) a-t-on pu lire sur les murs d’Ajaccio. Ironie à peine surprenante : une majorité d’électeurs de l’île ont donné la victoire à Corsica Nazione aux élections régionales… et – presque – à Marine Le Pen au second tour de la présidentielle (48,52%). Non, le mouvement indépendantiste catalan ne m’inspire aucune sympathie. Identitaire, il exhale un fumet nauséabond de rancœur aigre, agressive et racisante. Il serait temps que l’opinion de gauche vire – enfin ! – sa cuti un tantinet ridicule du vieux – si vieux ! – « printemps des peuples ». Les jeunes « petites » nations qui s’éveillent ne sont en rien meilleures que les vieilles qui jadis les ont dominées. Pour ma part, je leur préfère les empires défunts et les fédérations à venir…      ! Retour vers nos archives   Cet article de 2014, à propos du numéro d’hiver 2013 /2014 de politique étrangère de l’IFRI, nous a paru une insertion utile pour nourrir nos réflexions du moment. En parallèle au billet  de la semaine de J F Vincent.  Nous inaugurons là, une nouvelle rubrique de RDT : chaque fois qu’un texte ancien de notre magazine pourra être à nouveau éclairé par l’actualité, que ce soit pour appuyer, ou au contraire, se présenter comme connexe, contraire, voire contestataire de l’analyse-actu du moment, nous le ferons revenir en « une », pour enrichir votre regard de lecteur. Au risque, d’ailleurs, d’exposer des erreurs d’analyse, des chemins validés alors et depuis, erronés, mais c’est ainsi qu’on mesure aussi ce que coûte l’écriture sur l’actualité…   La  défaisance ?

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