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Homo Invictus…

« Aussi étroit soit le chemin Bien qu’on m’accuse et qu’on me blâme Je suis le maître de mon destin Et capitaine de mon âme ». « Invictus », de William Ernest Henley   Il l’a raconté souvent, avec son sourire, prêt à escalader la Montagne de La Table, le capitaine ; c’est ce bout de poème qu’il s’est récité comme un drôle de mantra, tout au long des 25 années d’emprisonnement. Magnifique ode à la Résistance, à la liberté aussi, au point que dans ma classe de collégiens on avait ces vers affichés au mur, pour quand on doutait, pour tous les fléchissements et découragements des ados. C’était l’année du très beau film de Clint Eastwood ( Invictus , 2009) et, dans notre région très rugby, Mandela et sa haute conscience, c’était beau comme marquer enfin l’essai du match… Quand j’écris ces lignes, Mandela, le chêne qu’on voulait  indéracinable ; celui, comme une lumière à la fois douce et forte, que chacun avait fini par reconnaître de par le monde, est au bout du chemin. On dit que c’est la fin, à supposer que d’un tel homme, on puisse un jour l’imaginer… Étrange posture, du reste, d’écrire en ce moment suspendu, sur ce grand vent qui prend le large… Demain, après-demain peut-être, les journaux raconteront, listeront, classeront la vie si longue – 95 ans – du jeune homme fougueux et si sage à la fois, qui, loin dans le siècle précédent, leva les armées contre l’Apartheid, et le froid de ses chiffres coupants comme guillotine : 80% de Noirs sous le joug de 10% d’Afrikaners, dans les plus beaux paysages d’Afrique australe, au Sud, tout là-bas. On vous redira l’avocat qu’il était, la prison, ce Robben Island, battu des vents, qu’on visite en frissonnant, le Congrès National Africain, l’ANC, ses luttes, ses erreurs, sa violence, aussi, racontée par les meilleurs écrivains du continent noir. Il y aura, en boucle, les images de tous ces ghettos, le nom de Soweto, qui claquait comme un refus, des années durant, dans les banderoles de nos manifs occidentales… la honte, la colère et, toujours, scandé comme un Toussaint Louverture qui n’aurait pas vieilli, le nom de Nelson Mandela.  On en verra des images et on scrutera la photo de ce visage, qui vieillissait sans vieillir, qui souriait en phare de belles valeurs qu’il était, qui prenait simplement un peu plus de blanc aux cheveux, mais demeurait droit, debout, toujours ! Un homme, on le sentait qui ne pourrait mourir ; une icône, disait-on, ce qui ne manquait pas d’ agacer parfois. La vie de Mandela, traversée d’un siècle ! Honneur de ce siècle ! Que garder ? Que choisir ? C’est le Mandela-président, le génial rassembleur, organisateur du nouveau Sud, depuis 1994, que j’ai envie d’évoquer, peut-être en écho, justement à l’épisode raconté par Eastwood, homme a priori pas vraiment favorable à la politique du premier chef noir de l’Afrique du sud. Moment, on se souvient, de la coupe du monde de rugby en 1995, dans ces terres où le ballon ovale était dans des mains blanches et aisées, tandis que les gosses des townships, eux jouaient au foot, sport des pauvres. L’apartheid, éclaté en trois coups de pied face aux buts. Langage fédérateur et universel du sport. Mandela, le roué, fin diplomate et habile politique au projet têtu dessiné loin devant, réussit, on le sait, à fédérer, dans l’élan du rugby, l’ébauche de sa nation « Arc en ciel », aux mille visages, aux cent ethnies, aux terribles fêlures de son passé : belle histoire, beau symbole… « Invictus ». Demain, sans doute, le bilan sera dressé de ses essais avortés, de ses insuffisances… de ses faiblesses de longue vie d’homme. Demain, on fera passer l’Histoire et ses sentences : il aurait pu, là, il aurait dû, ici… ce soir, c’est l’émotion qui salue, et aussi, remercie.  «  Invictus… », le poème, l’entend-il encore, le capitaine ?

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