Actualité 

Je suis Charlie ou l’Invincible été

Il paraît que demain Notre-Dame sonnera le glas pour eux. Et que le Pape François lui-même aurait condamné l’attentat… Le Pape, le glas !! Imaginez la tête de Wolinski et Cabu en voyant ça !! Avec la dernière Une de Charlie-Hebdo montrant l’accouchement très peu glamour de la Vierge… Pas plus tard qu’avant-hier, fiston et moi avions repéré un attroupement de jeunes des Quartiers devant une colonne Morris. Ils riaient très fort, montraient un dessin, et, intrigués, nous sommes donc allés voir l’objet de leur hilarité : la Une de Charlie ! Visiblement, cette attaque-là ne « les » dérangeait pas… Comme j’eusse aimé en voir, des amis des Quartiers, au Capitole, ce soir… Si tous les kébabs de Toulouse avaient fermé pour venir témoigner leur solidarité… Si tous les gamins de nos cités étaient « descendus en ville »… Heureusement nous étions déjà très, très nombreux. Superbe slogan que celui que Charlie vient de publier sur les réseaux sociaux : « 12 morts, 66 millions de blessés ». Oui, le pays tout entier s’est relevé, au lieu de s’agenouiller devant la barbarie. Les gens se sont parlé, spontanément, au-delà même des milliers de relais et de partages sur les réseaux sociaux. Ce petit garçon qui m’a interrogée en déchiffrant ma pancarte « Je suis Charlie » dans le bus, à qui j’ai expliqué que des Méchants avaient tué des Gentils et que j’allais soutenir les Gentils ; ce jeune Manouche qui a attendu une heure devant la caméra de France 3, espérant passer aux infos, tout en m’expliquant les différences entre Roms et Manouches, prétendant être le cousin de Kenji machin et en avouant avoir peur d’une guerre ; des « contacts » Facebook ou Tweeter, que je n’avais jamais rencontrés « in real life », et qui m’ont reconnue… Je me demandais, en entendant la foule frapper dans les mains lorsque des journalistes ont accroché une bannière au balcon de la Mairie, en découvrant ensuite, aux infos, les immenses rassemblements dans les autres villes, si les choses auraient été différentes si, après les atrocités innommables commises par Merah en 2012, le pays tout entier avait réagi avec une telle ampleur. Car je n’oublie pas que notre Ville Rose a déjà vu, hélas, des hommes et des enfants tués à bout portant par un barbare, et que nous sommes particulièrement sensibles à cette répétition de l’Histoire… Peut-être a-t-il fait défaut, cet élan de solidarité, après les attentats de Toulouse et Montauban, lorsque certains ont stigmatisé la « Communauté » en faisant de maladroits amalgames entre sionisme et judaïsme, en banalisant ces attaques qui pourtant, déjà, avaient frappé la République au cœur… Et ce soir, c’est bien plus qu’une communauté religieuse qui a été visée, c’est l’âme de notre France des Lumières, c’est le fameux « esprit français », c’est l’héritage des gazettes et des caricatures de Daumier alliés au courage des Jaurès, de Gaulle, Jean Moulin… Oui, nous sommes tous des Charlie, des Français attachés à nos libertés, à notre libre-arbitre, à nos droits. Bien sûr, certains plus que d’autres… Traversant le centre commercial, ma pancarte maladroitement serrée contre le manteau, essuyant au passage quelques quolibets de jeunes désœuvrés, (« Et moi je suis Paul », « Moi je suis Ahmed »…), je me suis aussi demandé comment certains ont pu avoir le cœur de faire les soldes… J’ai pensé aux années trente, à mes élèves que je dois demain amener voir « Les Héritiers », et à ces millions d’Allemands qui, eux aussi, peut-être, vaquaient tranquillement à leurs occupations quand des juifs et des communistes prenaient des balles dans la tête au coin de la rue… Mais il est clair que toutes les tendances politiques, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, ont compris la gravité de la situation. Une nuit noire est tombée sur les lumières de la démocratie, et nous pleurons notre propre mémoire, celle qui nous rappelle nos fous-rires devant les planches désopilantes de Cabu et Wolinski, quand nous achetions des BD que nous lisions ensemble… C’est mon ex-mari que j’ai appelé dans l’après-midi, après avoir éclaté en sanglots en apprenant le nom des victimes. Malgré des années de divorce, de déchirements, d’insultes, de guerre autour de nos enfants… Parce que c’est bien ensemble que nous lisions ces bulles de bonheur, de légèreté, de dérision, pas toujours politiques, mais tellement anticonformistes, tellement libres… Soudain, j’ai eu 20 ans, et c’est cela que j’ai expliqué à mon fils ce soir, ce lien quasi familial qui nous liait à ces dessinateurs : ils faisaient partie de nos vies depuis si longtemps, et nous avaient appris le devoir d’insolence… Je lui ai demandé d’imaginer sa réaction si, dans 30 ans, il apprenait que des terroristes avaient abattu un Yann Barthes, un Maxime Musca, ou une des voix des Guignols qu’il aime tant… Certes, c’est loin d’être le premier attentat meurtrier qui défigure notre liberté. J’ai eu l’honneur de rencontrer Françoise Rudetzki au dernier dîner du CRIF, et parlé aussi à Latifa, la maman d’un des soldats tués à Montauban, si engagée dans le rapprochement entre les communautés. Mais les tueurs, aujourd’hui, ont eu des gestes rappelant réellement ceux des pires dictatures, comme celui de demander le nom des victimes avant de les abattre sciemment, comme ont pu faire les nazis en désignant des juifs, ou des terroristes dans des avions en éliminant des Américains ou des Israéliens… Et cet attentat dont les témoins ont dépeint les véritables « blessures de guerre » fait de chaque Français un soldat. Un soldat de la liberté. Un soldat de la paix. Un soldat de la République. Nous devons devenir des Veilleurs, des Gardiens du phare de la Démocratie, des porteurs de flambeau. Car comme le proclamait fièrement et crânement Charb, « mieux vaut mourir debout que de vivre à genoux ». Cependant, n’oublions pas qu’il disait aussi qu’il n’avait pas l’impression « d’égorger quelqu’un avec un feutre »… Alors dessinons, nous aussi, le visage de la liberté et de l’humour. Osons rire, parler, nous moquer, faire face. Car le moment est venu, vraiment, de tenir chaudes les braises du courage et de l’honneur, afin de ne pas céder au feu des émotions et de la vengeance. Ne stigmatisons pas les innocents, mais réfléchissons à des solutions qui permettront un vivre-ensemble pacifié. En même temps, ouvrons aussi les yeux sur les dérives si multiples que nous ne les voyons plus, sur les cités devenues des poudrières à islamistes, sur les femmes avilies et soumises aux diktats d’un pseudo Islam prônant le mépris du corps de la Femme, sur les brèches de plus en plus nombreuses qui permettent à des zones de non-droit de polluer les règles de la République. Il convient, avant tout, d’éduquer, d’intégrer, de pacifier. Le ver est dans le fruit, mais chaque dessin de presse, chaque écrit, chaque discussion est comme une fleur de cerisier qui s’envole dans le vent, à la rencontre du soleil. N’en doutons pas un seul instant : il reviendra, le temps des cerises, des merles moqueurs de Charlie-Hebdo et des gais rossignols qu’étaient ces papys qui faisaient, de la pointe de leur humour, cette incroyable résistance ! J’aurai enfin une dernière et infinie tendresse pour vous tous : pour vous, mes Cabu, Wolinski et Charb adorés, et pour aussi Tignous et Honoré, les dessinateurs de talent, pour Elsa, la psy chroniqueuse, pour Bernard, le Toulousain à l’économie déjantée, pour Michel, l’Auvergnat qui aimait les voyages, pour Mustafa, le correcteur qui venait de recevoir la nationalité française, pour cet « agent de maintenance », Frédéric, qui est mort en soldat inconnu, et surtout pour Franck et Ahmed, les deux policiers dont je salue le courage. « Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été », Albert Camus.

Vous pourriez aimer lire: