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« L’ Après Charlie de Caroline Fourest »

On ne connaît qu’elle, Caroline, sur les plateaux TV aux débats animés, ou en billets coupants là, ou ici. Quand il s’agit de libertés – féminines, mais pas que – sa voix se pose, droite, et bien malin celui, celle, qui l’arrêtera. Dans mon coin, on dirait qu’elle est teigneuse et ne lâche rien, une fois les dents mises. Quelque chose de l’ « incorruptible », la dame, et toujours avec le sourire, faussement angélique… Son dernier opus Éloge du blasphème est comme un assemblage de chroniques. Comme un ramassé de ses divers coups de gueule. Ne pas attendre du littéraire, mais du citoyen de belle eau, oui. « De quoi parlions-nous le matin de l’attentat. Je ne sais plus. Au téléphone, j’entends juste : Charb est mort ». Elle a travaillé à Charlie Hebdo, connu le ban et l’arrière-ban de la boutique, était là juste après. A tout vécu de ces jours si particuliers. Le coup de poing, depuis, à l’estomac, s’entend à chaque ligne écrite. On sent qu’écrire, parallèlement à dire, lui a semblé le seul chemin à prendre, pour leur rendre hommage, pour se projeter demain, pour – évident – sortir, elle, du cauchemar. Son « Eloge du blasphème » est la tête qu’on tient hors de l’eau. On lit, ça et là, que ça grincerait chez ceux que son discours sans concessions florales, dérange. On comprend vite. Et il y en a – journaliste, intellectuel, politique, religieux – de ceux qui trouvent, au fond, que «  c’est bien malheureux, tout ça, mais faut faire attention avec les provocations ; un peu comme après un viol, lorsqu’on réconforte la victime tout en lui faisant remarquer que sa jupe était trop courte  », de ceux qui cherchent la « bonne » distance après Janvier le 11, jour du « Tous Charlie » ; ceux qui confondent, dans une pseudo-rondeur se voulant intello original, un sain esprit critique avec une grande rasade de lâcheté peu ragoûtante. Parce que CQFD, Dame Fourest tricoterait, comme d’autres les chaussettes, figurez-vous, de l’Islamophobie !  C’est vrai que  là, quelle que soit la cabane – des banlieues, musulmane, de Gauche, de Droite dite civilisée – le fusil de Dame Fourest décanille… c’en est un vrai plaisir, mais, mieux – journaliste, quand même la Caroline – il désigne : toi, là, toi, ici, et c’est d’une formidable efficacité. Fourest s’habille en procureur, défendant «  toutes les victimes du fanatisme et du terrorisme où qu’il frappe » . Vraies informations qu’on s’empresse d’engranger. Les « Je ne suis pas Charlie, plutôt Kouachi », le « Je suis Charlie Martel » du père Le Pen, elle en fait un paquet-poubelle en deux coups de banderilles bien plantées, mais – si j’ose dire – elle n’a pas écrit son livre pour ça. Ce qui l’intéresse, nous intéresse, c’est ceux qui se trompent dans les sources (ainsi, de remettre les pendules à l’heure avec une précision – d’horloge ! – pour l’historique des caricatures au Danemark, et la façon dont Charlie avait relayé). Plusieurs chapitres ont la solidité de la référence, du coup. Elle cible les «  vrais dévots des faux Charlie  », l’union des communautarismes, même celui des défenseurs de minorités sexuelles ou féministes – Act Up, ainsi, est retoqué ! Longue mise en cause de ces adeptes de la culture de l’excuse, pour qui « tout musulman » est d’abord une victime potentielle d’un racisme aux aguets. Elle retourne toutes les cartes de « l’Islamophobie ! Attention, madame ! », et c’est étonnant ce qu’on voit dessous ! Remarquables chapitres, que ceux qui trient dans les Gauches, les laïques, et les anti-laïques, toutes se prétendant à l’égal, antiracistes. Ainsi, quelques beaux cartons, type PC, NPA, ATTAC, ou Parti de Gauche, tendance Clémentine Autain. Où fleurissent des meetings curieux au nom de la dénonciation de l’Islamophobie rampante. Quelques tous-fous genre l’écrivain Virginie Despentes : «  j’ai été Charlie, le balayeur et le flic à l’entrée, j’ai été aussi les gars qui entrent avec leurs armes, qui avaient décidé de mourir debout plutôt que vivre à genoux…  ». Des surprises, peut-être du côté de ces intellos qui, dit-elle, avec culot, confondraient Kouachi et Dreyfus. Pascal Boniface (je veux croire qu’elle exagère), Alain Badiou, qui conteste haut et fort « ce mot d’ordre national qu’est le – Je suis Charlie », et même notre Edgar Morin (signataire d’un livre commun avec Tariq Ramadan) pour qui le petit rectangle noir devait manquer de complexité. Emmanuel Todd, qu’elle a admiré dans une autre vie, lui semble en perdition sous le coup de l’aigreur : « considérant Charlie comme islamophobe, avant l’attentat, et pareillement, après ». Tir nourri – on l’attend d’entrée – côté religieux, notamment les institutions de la religion musulmane. L’UOIF, qu’elle qualifie de tartuffes intégristes, issue des Frères musulmans ; Tariq Ramadan – visiblement un de ses préférés – un des plus dangereux, car louvoyant habilement entre langue pseudo tolérante et intellectuelle, et agissements franchement peri-intégristes. On le savait, elle rafraîchit notre mémoire à l’occasion de cet « Après Charlie ». Et enfin, forts chapitres de la seconde moitié du livre, son sain et réconfortant « éloge du blasphème », permis en République Française, depuis notre grande Révolution, sauf en Alsace Lorraine, mais encore largement pourchassé et instrumentalisé dans beaucoup de pays (20 en font un délit puni de mort). Cette large recension de ces cas, où religion, État, société, sont intimement noués en des liens regrettables, est – au plan informatif – un outil fort utile. Quant à sa conclusion : «  Les contrées réellement démocratiques et laïques sont des ilots, submergés par des identités religieuses étouffantes… la démocratie laïque reste pourtant notre avenir  ». On signe !   Éloge du blasphème , Caroline Fourest , Grasset, mai 2015, 17 €, pour 184 pages propres à la réflexion

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