« L’autre été 14… »
« Tandis que les humains bâtissent les maisons / façonnent des jardins à l’harmonie parfaite / un monstre coléreux les guette à l’horizon / l’ouragan se déclenche en hurlant à foison » Patricia Guenot L’été 14 – celui-là, maintenant, en Limousin, comme ailleurs, gagna – chacun l’aura remarqué – sans grosses difficultés un bon podium dans la catégorie été pourri. Ni Dordogne, ni étangs n’invitant à la baignade, c’est sur le plateau, celui des mille sources, que le centenaire de la guerre, la grande, la première, la future « der des der » m’emmena, un jour gris, visiter le monument aux morts de Gentioux. Unique en France ; indispensable dans le centenaire pétaradant qui commençait. Un gamin – un orphelin –, sa blouse grise d’écolier, levant le poing devant l’immense liste de morts au combat de son coin limousin, en disant : « maudite soit la guerre ». Juste à ce moment – à quelques heures de distance, démarrait via nos JT, la énième guerre israélo-palestinienne. « Maudite soit la guerre » répétait le petit Creusois, et celui de Gaza, et des faubourgs d’Haïfa… Quelques petits Ukrainiens s’invitaient à la prière – missile de l’avion fauché, courant Juillet, oblige… triste cortège, s’y ajoutèrent, ces jours derniers, les cris des enfants des minorités religieuses irakiennes, pourchassés par un intégrisme toutes dents dehors. Images, films, servis parfois en couleur saisissante, litanie de textes souvent inconnus – toutes ces lettres du Front racontant de ces écritures fines presque familières l’enfer des boyaux et la mort galopante. Le centenaire de la Guerre, pardon, la « grande » guerre de 14–18 inviterait à la réflexion – magie des images – n’importe quel non intéressé par l’Histoire. Photos sépia de ces grands-pères – dont le mien, Jean – jeunes et plein d’allant, tous paysans sortis de leurs villages, guindés, perplexes – l’enthousiasme fut un mythe – posant dans l’uniforme qui les mettait mi-mal à l’aise, mi-fiérots. Étrange proximité de ce 14-18, rendue par ce centenaire classique et peut-être un peu ronronnant, évitant, pour autant, de verser dans les fossés maudits des nationalismes exacerbés agités pourtant par les populismes au vent en poupe. Devant moi, alors que j’écris, un tableau pompeux et poussiéreux décline sur fond d’imagerie patriotique (le départ, la gloire, la paix – « superbe » raccourci) le sens de trois belles médailles que mon caporal de grand-père au 99ème régiment d’infanterie reçut « en mémoire de la grande guerre », pour une blessure – une balle lui traversa le visage – 3 ans de campagne et 2 citations… Comme tant d’autres, ce poilu-là n’en parla plus jamais, jusqu’à un âge très avancé où – ses petits-enfants portant l’Histoire par leur profession – il raconta, comme habité soudain, de souvenirs précis et intacts, beaucoup d’horreurs et de souffrances, dont la perte quasi entière de toute sa compagnie quelque part en Champagne. Je me souviens – nous retenions notre souffle – qu’il avait terminé, à mi-voix, comme pour lui-même : – c’est une connerie, la guerre ! Lui aussi ! avec la horde immense de tous les autres, passés et à venir, signant cette évidence à hauteur d’homme et de soldat. A hauteur de souffrances. 3 garçons fauchés chez ses plus proches voisins, d’un coup, tous. Son frère ne revint pas des Dardanelles ; le père et la mère ne surent rien, longtemps, de ce manquant… impossible enfer. La guerre au Moyen-Orient – à ce jour, trois semaines bien tassées –, sanglante à souhait, réplique quasi rituelle d’autres guerres là-bas, terrible spectacle d’été, souvent. On croit revoir – terrible révision – et le terrible enfer à Gaza, et la menace constante sur les régions israéliennes, et… nos réactions, ainsi que celles de la Communauté internationale toujours autant brouillonne et comme inexistante. Elle nous dit – la fraîche, la dernière, celle de ces jours-ci – la guerre, ses modes, et ses victimes, ses interrogations, son arrogance ; notre impuissance. Images plus « modernes » ; même triste refrain. Elle revient habiter nos JT, leurs journalistes remplaçants pas mécontents de l’aubaine. Mais, voilà ; on a beau rabâcher, on ne s’y habitue pas… de moins en moins. Les faits, leur chronologie, sont partout ; n’y revenons pas ; les chiffres aussi et leur terrible asymétrie un peu vite alignée (si Tsahal, par exemple, n’était pas une force de pointe en matière de protection anti-missiles, il y a fort à penser que le nombre des victimes israéliennes, dont civiles, serait beaucoup plus haut). Étrange impression, quant à moi, qui ne m’a pas quittée, de déjà vu : résurrection d’un conflit du temps de la Guerre Froide, là, où on regardait en retenant son souffle, de « petits » coins brûler (à cette époque, le Moyen-Orient en était, du reste, déjà, un des théâtres d’opération). Sur place, cet été, les forces font assaut de technologies meurtrières, ne lésinant pas sur les doses. Le différentiel entre celles d’Israël et celles du Hamas, se réduisant de conflit en conflit – progrès technologiques à l’appui, une sorte de diabolique stagnation, coupée de difficiles trêves, fait comme un temps suspendu, ça et là (court ; qui ne tient même pas d’un JT au suivant). On sent que rien, ni personne ne « lâchera ». Comme assistant à un théâtre dramatique, le reste du monde semble immobile, impuissant ; chacun campant sur les représentations actées depuis si longtemps : les États-Unis, prisonniers de l’équilibre des forces au Congrès, et de la puissance supposée de la Communauté juive américaine ; l’Europe louvoyant, tournant sur elle-même, la Russie empêtrée dans sa géopolitique tourmentée ; le monde arabe silencieux ou adepte de formules magiques selon l’heure. Chacun, en l’espèce a depuis des lunes choisi « son » champion, et s’endort au tournoi. Non assistance à personne en danger ; quelque chose de cette lâcheté des voyageurs devant une rixe dans un train. Les solutions politiques – les seules qui vaillent – restant au garage ; porte verrouillée, clef perdue. Pourtant… pas grand-chose de nouveau dans le problème posé, ses éventuelles sorties : Gaza démilitarisée ? mission des tunnels redessinée, freinage (arrêt ?) du blocus ? Négociations avec une autorité palestinienne ainsi revalorisée, et contournant du coup l’extrême violence du Hamas. Chercher – si, il y en a ! dans le camp du gouvernement actuel d’Israël, ceux qui sont moins faucons que d’autres. Déclinaison à mener en termes de démographie, d’économie et de développement, de sécurité, évidemment. Deux États, probablement ; à moins qu’une fédération. Qui a dit : sur la carte du Moyen-Orient il manque un état ?… il manque assurément quelque chose qui ressemble à la dignité de l’homme. Sur le granit de Gentioux, les noms de tous ces hommes jeunes – énorme, indécente proportion à la population du village, s’alignent – parfois, le même nom, et ses prénoms différents revient plusieurs fois. C’est – faut-il le dire – la même écriture, en Hébreu, ici, en arabe, là. Morts, blessés, maisons et villes dévastées – construire une maison, savez-vous le temps qu’il faut ? disait l’autre jour la dignité de cette Palestinienne, et la mère du soldat de Tsahal martelant sa peur d’entendre son portail grincer pour lui annoncer la mort du fils, résonnait en stéréo. La trêve, sous égide égyptienne, est en cours, comme s’écrivent ces lignes ; elle balbutie, butte, geint. Des terroristes du Hamas (qu’on me donne un autre mot) sont abattus – poignée de quelques dizaines ; mais, des villes sont noyées sous des tonnes de bombes ; enfants et civils rayés des listes… peurs sans fin dans – presque – toutes les villes israéliennes à portée de feu. Sur les plateaux bordant le Kurdistan au nord, dans un Irak aux portes de la démembrance, sous 40 degrés, avancent des enfants. Cortèges que racontaient déjà, les chroniqueurs du Moyen Age, voyant passer les croisés égarés… « Maudite soit la guerre », il pleut – il pleure, sur le granit Limousin…