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L’OPA de la PME Le Pen

Drôle de titre, n’est-ce-pas ?! En fait, il s’agit, à la suite des résultats des élections européennes – pour ce qui concerne notre pays – de montrer comment Jean-Marie Le Pen, puis sa fille Marine, ont monté, en liaison avec la nébuleuse d’origine du Front National, un véritable hold-up sur l’image de la France et des symboles républicains. Et ceci, en s’appuyant sur les traumatismes historiques de la gauche, et le manque d’une conception claire et humaniste, sur les questions d’identité, de la part de la droite classique.  Cette chronique sera terminée en disant quelques mots à propos de la façon dont les démocrates de tous horizons pourraient sortir du piège dans lequel ils se sont enfermés, par rapport à un Front National qui a su profiter de la crise multiforme progressive qu’a connue l’Hexagone (dans un contexte européen et même mondial) depuis 1973.  Dès l’époque de Jean-Marie Le Pen, le Front National sut, par étapes, profiter d’un contexte de crise, car, comme par hasard, la création de ce parti unifié d’extrême-droite – militants traditionnellement divisés en une multitude de chapelles – eut lieu en 1972-1973, au moment même où les prémices des conséquences du premier choc pétrolier commençaient à se faire sentir ! Depuis longtemps, la gauche se sentait mal à l’aise avec une certaine image des symboles français (drapeau, Marseillaise, etc.) pour des raisons liées essentiellement à l’internationalisme socialiste ou communiste, et aux guerres coloniales (Indochine, et surtout Algérie). Quant à la droite classique, elle resta longtemps sous la domination culturelle idéologique véhiculée par la gauche. Rappelons en effet que, jusqu’à il n’y a pas si longtemps, le terme de « droite » était vécu comme infamant (en rapport avec ce qu’avait été le Régime de Vichy de Pétain et de Laval : « L’État Français » n’avait-il pas comme devise, pour sa « Révolution Nationale », « Travail, Famille, Patrie » ?). Dans ces conditions, un véritable boulevard de récupération politique potentiel s’ouvrit pour le Front National ! Progressivement, tous les grands symboles y passèrent : le drapeau tricolore et La Marseillaise (éminents symboles de notre Révolution ), Jeanne d’Arc (en tant qu’image de la « Patrie »), etc. Voilà les débuts ce que je nomme hold-up ! Cette instrumentalisation politique des images fondatrices de 1789, et même de 1793 (Jean-Marie Le Pen alla jusqu’à se référer aux « Soldats de l’an II » lors d’un discours… !) se fit à la fois brutalement et sournoisement : brutalement, car aucun contre-feu politique n’eut lieu face à cette usurpation d’identité, ou subversion culturelle (ce que j’appelle la stratégie du « coucou », qui fait son nid dans celui des autres… !), et sournoisement, car ce venin progressa petit à petit dans une partie de plus en plus importante de l’opinion française. Avec Le Pen père, l’usurpation des images et des symboles de la République française eut lieu dans un cadre d’extrême-droite assez classique. Les démocrates pouvaient encore résister, en raison surtout des dérapages verbaux multiples du chef du Front National – fondés sur l’antisémitisme viscéral de la génération de ses soutiens historiques (issus en fait de la tradition ultra-nationaliste de la seconde moitié du XIXe siècle et des débuts du XXe) (affaire des chambres à gaz « détail de l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale », « Durafourcrématoire » !). Un nombre extrêmement important de nos compatriotes pouvaient se dire : « Non, la France, ce n’est pas ça ! ». D’où l’hyper-mobilisation de 2002, lorsque, après l’élimination du candidat socialiste Lionel Jospin au premier tour des élections présidentielles, environ 82% des Français se retrouvèrent – dont de très nombreux jeunes – pour faire en sorte que le score de Jean-Marie Le Pen soit le plus faible possible au second tour face à Jacques Chirac. En somme, notre tissu démocratique était encore solide : (17,79% seulement des suffrages exprimés en faveur du candidat d’extrême-droite – à peu près son résultat du premier tour.) Le problème, c’est qu’avec Marine Le Pen, le hold-up sur l’image, les symboles, et les réalités de la France, devint de plus en plus important. En effet, alors que son père développait des thèmes économiques ultra-libéraux, sa fille – plus démagogue que moi, tu meurs ! – se mit tout d’un coup à reprendre des éléments qui avaient fait la spécificité de notre pays depuis la Libération en 1945 : « L’État-Providence », avec la version « État protecteur réservé aux nationaux »…  Nationale et sociale, la Marine ! Comment s’étonner, dans un contexte de mondialisation, de crise multiforme, et de perte des repères, que des segments importants des catégories populaires aient pu voter en % plus importants (43 ouvriers sur 100 ont soutenu les listes parrainées par Marine Le Pen lors des élections européennes !) pour ce Front National-là ? Cela dit, il ne faut pas oublier que le phénomène dit du « gaucho-lepénisme » (ces électeurs provenant notamment d’un ancien vote communiste de protestation ) existait déjà à l’époque de Le Pen père. « La Sociale » (comme on appelait la famille « socialiste » dans la seconde moitié du XIXe siècle et les débuts du XXe), c’est un peu Marine, maintenant, et « l’UMPS » ce sont les « ultra-libéraux »… !! Marine, c’est le modèle social Français, pour les Français… Simple à comprendre, car simpliste…  Mais ça marche de mieux en mieux, car collant au rythme politique médiatique fondé sur la caricature et l’immédiateté ! Il ne serait pas étonnant que, d’ici quelque temps, dans une démarche démagogique la plus totale, la cheffe du Front National en arrive à demander, dans certains secteurs de l’économie française, des nationalisations ! Et là, le hold-up deviendrait quasi absolu, puisqu’il se situerait également dans une tradition – qui fut prégnante – de politique économique de gauche. Maintenant, comment sortir du piège qu’a tendu l’astre noir du Front National, tenu par la PME Le Pen – qui apparaît de plus en plus comme une grande entreprise, voire une transnationale (avec le groupe Europhobe au Parlement européen) ?  Quelques pistes, parmi d’autres. D’abord, la gauche doit expliquer ce qu’est sa conception de l’identité de la France, et montrer en quoi celle du Front National n’a rien à voir avec les fondements historiques de nos grandes traditions républicaines ; donc en finir avec la honte et le complexé par rapport aux symboles qui représentent notre pays, et réexpliquer – d’une manière pédagogique – à quoi ils se réfèrent et d’où ils viennent. Tout cela dans le but de montrer qu’on peut avoir plusieurs identités, et ceci sans se perdre : être, par exemple, Français, Européen, et Citoyen du monde ! Ensuite, la droite doit en finir avec la désastreuse tactique de validation des thèmes du Front National qui fut organisée auprès de Nicolas Sarkozy par Patrick Buisson lors de la campagne des élections présidentielles dernières. Puis, les Français doivent se préparer, au sein des appareils politiques, et comme citoyens à la base (c’est-à-dire dans, ou en dehors, des structures partitaires), à un regroupement (qui ne peut que venir un jour) de tous ceux qui sont favorables à l’idée européenne ; même si la conception qu’ils en ont peut sembler différente. Enfin, il convient d’arrêter de se limiter à dire que voter Front National « c’est mal », et harceler Marine Le Pen sur son soi-disant « programme » de « souverainisme intégral », qui mènerait notre pays à la catastrophe ! Voilà, peut-être, les principaux axes qui pourraient permettre d’endiguer la montée de l’ultra-nationalisme – aussi bien, d’ailleurs, en France que dans les autres pays européens.   « Le Front National : Mutations de l’extrême-droite française », Pascal Delwit, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2012, 248 pages « Le Guide anti-FN : La Gauche forte », Yann Galut et Alexis Bachelay, Éditions J’ai lu, 2014, 110 pages   Note : « La Gauche forte » est un club de parlementaires et de militants de gauche qui combat la collusion d’une partie de la droite avec les thèses du FN. Elle milite pour que la gauche se réapproprie les concepts de République, de nation, de patriotisme, et de laïcité, et lutte contre toutes les formes de discrimination, contre l’évasion fiscale et pour la justice sociale.

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