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Les jeunes « néo-cons » français seraient-ils une avant-garde ?

Pascale Tournier est une journaliste à La Vie , mais son travail – très professionnel – pourrait être l’œuvre d’un universitaire ; j’avais déjà évoqué, dans une précédente chronique, le mouvement « dextrogyre » des idées et le néo-conservatisme qu’à la fois il draine et il préfigure. L’ouvrage de Pascale en décrit la traduction dans les faits, avec un panorama tant de ses acteurs que des doctrines qu’ils promeuvent. Le point de départ de ce renouveau droitier fut la Manif pour tous, en juin 2013. La loi Taubira effraie, que dis-je, épouvante la bien-pensance catholique ; Ludivine de la Rochère, une transfuge de la fondation pro-vie Jérôme Lejeune, aidée de Béatrice Bourges (proche du syndicat d’étudiants d’extrême droite d’Assas, le GUD, et de l’Action Française) organisent le mouvement et programment les démonstrations dans la rue. Ce ne sont en rien des nouvelles venues dans l’arène médiatique ; mais la jeunesse va suivre. Cette jeunesse a ses mentors intellectuels : des anciens « gauchistes » passés à droite : Alain Finkielkraut, Marcel Gauchet, Jean-Claude Michéa (dont je ferai prochainement la recension du livre,  Notre ennemi le capital , devenu presque un classique), sans parler du géographe Christophe Guilluy, qui brosse une sociologie de la France en déshérence qui vote Le Pen. Parmi les « jeunes pousses » de cette intelligentsia « néo-con », citons Bérénice Levet, professeur (sorry ! pas de « seure », je ne pratique pas l’écriture dite « inclusive ») à Polytechnique, Eugénie Bastié, journaliste au  Figaro et surtout Alexandre Devecchio, journaliste également, au très droitier  Figarovox et fondateur de la revue  L’incorrect , laquelle a pris pour devise « un nouveau média pour rassembler les droites ». Leurs idées ? Tout d’abord le légitimisme, selon la célèbre typologie de René Rémond ; « leur matrice idéologique, écrit Tournier, repose sur l’ordre naturel, l’enracinement dans la tradition, l’institution de la famille, le primat du collectif sur l’individu, la dénonciation de l’abstraction et de l’universalisme révolutionnaire ». La nature donc, base et justification du combat contre le mariage gay et la théorie du genre, mais – plus profondément encore – la  limite . « La limite, déclare Bérénice Levet, est une caractéristique de l’humanité, les limites nous fondent ; nous ne les fondons pas ». Le néo-conservatisme rassure, protège de l’ hubris du progressisme et de sa démesure. Il convient par conséquent de se limiter (et limiter les autres). D’ailleurs, vient de se créer un tout nouveau magazine, qui a tiré d’une encyclique du pape François son intitulé…  Limite  !  Limite se définissant comme « la revue de l’écologie intégrale ». « Intégral », un autre mot-clé de la pensée « néo-con ». Jacques Maritain (cf.  L’humanisme intégral , 1936) en aurait posé les fondations ; mais, ainsi que le fait justement remarquer Pascale Tournier, « intégral, issu du latin  integer , signifie aussi bien « intégriste » que « intégral ». En effet, l’intégrisme catholique affleure. Tous ces jeunes dans le vent se veulent – à des degrés divers – chrétiens ; tous, ils pourfendent l’extension insidieuse de la loi Veil qui a fait passer le statut de l’avortement de la simple tolérance à un véritable droit que certains – Mélenchon par exemple – voudraient même constitutionaliser. Alors, bien sûr, il existe entre eux des divergences au sujet de l’économie. Unanimement anti-libéraux sur le plan sociétal, ils ne gardent pas tous leur cohérence sur le plan économique. Michéa l’a bien vu : les conservateurs des mœurs sont facilement capitalistes ; de même que la gauche libertaire prône un dirigisme keynésien ou marxiste… difficile de s’opposer à la liberté dans tous les domaines. Cela étant, une doctrine – marxisante ! – fait, elle, consensus : le gramscisme ; la bataille des idées, une fois remportée, ouvrant la voie à la victoire politique. Lors d’un forum des droites, qui eut lieu en septembre 2017, à L’entrepôt, QG des bobos, sis dans le XIVème arrondissement, l’ensemble des acteurs susnommés se trouvaient rassemblés, lorsque – divine surprise – Marion Maréchal-Le Pen fit son apparition « pour voir ses amis ». Les jeunes participants n’en démordaient pas : « nous sommes dans le temps long (…) entre Mai 68 et Mai 81, il s’est écoulé treize ans. Nous avons commencé en 2013, pourquoi ne serions-nous pas au pouvoir en 2027 ? ». Bref, il s’agit d’initier un « Mai 68 à l’envers ». Et Pascale Tournier de conclure : « en cinq ans, la droite culturelle a connu un renouveau sans précédent. Alors que la gauche peine à renouveler son logiciel, son corpus doctrinal, axé autour de l’idée de limite, s’est structuré et fait système. Une vision de la France inscrite dans le repli de son histoire et de ses territoires s’est déployée ». Oui, le thème de l’identité s’est substitué à ceux de l’égalité et de l’émancipation. Que la gauche prenne gare : la bataille des idées n’est peut-être pas tout à fait perdue, mais cette gauche – ou ce qu’il en reste – a d’ores et déjà été attirée sur le terrain de son adversaire…

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