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Loin de Paris (15) St Paul-Trois-Châteaux

En Provence, au pays des platanes, des tuiles et des fontaines, pas très loin de Grignan, de Nyons : à Saint Paul-Trois-Châteaux. Des masses nuageuses de vapeur sortent continûment et au ralenti de trois des quatre gigantesques chaudrons renversés de la centrale nucléaire du Tricastin. Des montagnes à l’arrière-plan, dans le lointain, ou plus près de la route des sortes de falaises dont le flanc boisé est blessé par une carrière, par le tracé d’une route. A Paris on manque cruellement de montagnes qui viendraient indiquer et limiter l’horizon, tenter le regard ou le reposer, rappeler que tout n’est pas ici. Des champs entiers de coquelicots. Trois gigantesques hélices d’éoliennes, en plein ciel : elles flottent au-dessus des arbres du bord de route, belles comme des libellules, belles comme elles-mêmes. Par la fenêtre du deuxième étage d’une maison ancienne, apparaît tout à coup une magnifique composition de tuiles, de pans de toits vus comme à travers une lumière bleutée et blonde qui les révèle sans les dénaturer. Tout éclate d’évidence, telle une énigme qu’il ne s’agit pas de résoudre. La voix paisible de Virgile Novarina au restaurant sur la place, le sourire de Marisol à peine sortie de clinique après son accouchement, un minuscule nouveau-né qui dort dans un landau, et sur lequel on met un pull-over contre la fraîcheur qui tombe. A son balcon du premier étage, face au ciel bleuté qu’elle regarde et qui la regarde, une blonde en jeans téléphone longuement. Saïd et moi nous la photographions d’en bas, mais il faudrait demander à Vermeer de peindre cette scène à la fois intime et ouverte sur l’extérieur. Ce matin, dit la femme de goût qui a organisé l’exposition des « Ecrits et dessins de nuit » de Virgile, « ce matin, ce qui m’a éveillée, m’a rappelé que j’étais au monde, c’est l’odeur du chèvrefeuille qui avait fleuri entre-temps ». Pendant le dîner, derrière les conversations, le bruit continu de la fontaine. La très jeune écolière est brune, en jean aussi, mais un jean dont le bas des jambes, fendu comme un pantalon de cow-boy, est lacé de cuir sur le devant. Réglant son walkman, elle ressemble à une jeune impératrice de Ravenne. Ses cheveux tombent en frisettes de part et d’autre de son visage jusque sur sa poitrine, alors que sur le haut de sa tête trois tresses sont maintenues sur le crâne par des agrafes, des raies très marquées partageant le reste de sa chevelure. Ses doigts sont enfantins, très ronds, terminés par des ongles taillés en pointe. Sa bouche porte une expression maussade, presque méprisante, pendant qu’elle écoute sa cassette, ce qui ne l’empêche pas de lancer de temps à autre des œillades curieuses sur le côté. Cette Théodora plébéienne au teint mat se rend à Vienne (Isère) dans un compartiment de train pour huit voyageurs, à l’ancienne, aussi désuet qu’une malle-poste de western ou que le cadre d’une scène de Hitchcock. Elle sait qu’elle est jolie. Le train longe l’autoroute, et le Rhône vert (dessiné sur le vif). Deux jeunes types, sur le quai, fument leurs cigarettes assis sur un banc. L’un en chemise à carreaux, grosses chaussures, cheveux plats ; l’autre, cheveux noirs frisés, baskets, veste noire tricotée à fermeture éclair, un journal sportif à la main. Ils attendent, n’échangent pas de paroles. Une dizaine de personnes, dans un champ appartenant au marquis de Carabas, sont courbées et cueillent je ne sais quoi.   Pierre Pachet   * Ce texte est précédemment paru sur  « La Quinzaine Littéraire » *  « Loin de Paris » (Editions Denoël. 2006)

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