Ma décharge au soleil
L’été, que voulez-vous ! on a besoin de poser l’œil, de frétiller du nez, et d’affuter les oreilles, sur du bel et du beau. L’été, c’est le « dehors » et le petit lot d’exigences qui va avec… Montpellier en cet été entrant, est ? forcément somptueuse ; la lumière romaine, les vieilles pierres ruisselant de médiéval ; sautant de pas en pas les murets sur les cours ou jardins intérieurs, des senteurs de lavande ou de thym frais ; frou-frou de martinets, de tourterelles et de mouettes égarées… des sons, des couleurs, une transparence de l’air inspirée par les étangs et la mer à deux sauts de puce… Du Pagnol comme s’il en pleuvait… Clichés – mais pas loin d’être vrais, de Montpellier – Midi – Été – Vacances… Oups, clichés, quand même, hélas, clichés ! Montpellier, j’en ai peur, est classée top dans les villes les plus sales de France. Comme une arête de sardine du dernier barbecue qui ne passerait pas. Tout comme. Du médecin en veux-tu, en voilà, de la culture – de tout ! du Bac plus dix, comme Tramontane en hiver, mais, pour le même prix, de la poubelle grasse qui déborde, des papiers partout, des canettes vides là où on attendrait promenades ombragées aux murmures des fontaines. Et puis, décharges, encombrants souillant chaque coin de rue, chaque tournant de trottoir. Montpellier-décharge, cherchez l’erreur… C’est – j’en ai souvenance – une des images, qui, hélas, vous impacte, dès votre arrivée en ville. Venant d’une campagne, si verte et propre, il est vrai, si peu peuplée, aussi, je m’étais dit : le vent, ces vents qui définissent la ville bien autant que le soleil ? la cherté des services de ramassage ? les gens et leur absence de citoyenneté chronique ? C’était il y a 12 ans, à présent. Une décennie après, tourne encore la chanson. Causez une miette de la chose avec vos voisins ; sujet exceptionnellement consensuel, du moins, au niveau de la pose de l’équation. Après, pour les raisons, ça diverge souvent. Ainsi, de l’incrimination – chacun en habit de procureur – des « services de la ville », formule usitée en tous domaines et à l’envi. Mais que fait la mairie ? Enfin !! La propreté a été une des demandes les plus présentes, au même titre que la sé-cu-ri-té, lors des dernières élections municipales. Prise en compte, la demande, par tous, et mise en haut du cahier des charges par Philippe Saurel, le nouveau maire et son équipe, bardée de volontarisme et de dynamisme. Une tournée de plus, tous les jours, des ciblages plus précis, une campagne d’explications, notamment sur « les encombrants ». Que font donc nos édiles ? Tout ce qu’il faut faire !! mis à part, un policier municipal en faction devant chaque poubelle, nuit et jour… ce que personne n’est prêt à financer ; on s’en doute… ce qu’il ne faudrait en aucun cas faire, au risque d’infantiliser nos concitoyens. Faire à la place de ; éviter ; apprendre aux gens à faire, oui. Me revient une maxime au mur de ma classe, au temps béni de mon travail sur de futures petites têtes citoyennes : « donne moi un poisson, je mangerai un jour ; apprends-moi à pêcher, je mangerai toujours » . Proverbe indien, s’il m’en souvient. Les outils, en nombre, sont donc donnés par nos contributions locales, agencés plutôt intelligemment par des politiques saisissant les données du problème ; alors… d’où vient que l’œil, le nez et parfois l’oreille – vibrations des mouches ! – trouvent de moins en moins leur compte en Montpellier-la-sublime ? Bon sang, mais c’est bien sûr, disait l’autre à la TV de mon enfance, ce serait peut-être bien des gens eux-mêmes que ça viendrait ? Tant de choses dysfonctionnantes viennent – vous l’avez remarqué – non pas d’« eux, là-bas, là haut, qu’est-ce qu’ils foutent ! », bref, des autres, mais (voyez-vous ça !) de nous. Bigre. Je n’aborderai pas le Tri des déchets, qui, on le sait, pour être dans « les mœurs » (dont, probablement, les miennes) attend probablement que l’obligation, et la charge financière affairant, soit actée. Les pratiques allemandes, ou scandinaves, n’étant, on le craint, que peu compatibles avec « le » mental citoyen d’ici. Mais, les décharges ; centre ville, ou pas loin ; pas celles – supposées du moins, et à vérifier sans doute avec surprises à la clef – des Quartiers où – ma bonne dam’ – on sait à peine à quoi sert une poubelle ! Non, il s’agit là de décharges de quartiers « bien habités », comme on lit parfois dans les annonces immobilières, où campent, vous et moi, blancs de lointaine souche. Hélas, madame ! Nos encombrants sont automatiquement ramassés le vendredi – les sortir, svp, le jeudi soir – et, si un gros canapé veut absolument se suicider en dehors de la date, on peut prendre RV avec les services pour un ramassage exceptionnel. J’ai remarqué une amélioration citoyenne dans les mois qui ont suivi les municipales. Ouf, mais depuis quelques mois, rechute ! Rentrez donc chez vous, un peu tard le soir ; fort probable que vous allez rencontrer ces déposeurs sauvages d’encombrants, qui lâchent au pied de la poubelle, qui, un vieux matelas, qui, une armoirette de salle de bain, qui – carrément – des draps en vrac. Pointée sur mon trottoir d’en face, j’ai repris un soir ma panoplie d’ancienne prof d’éducation civique : – vous savez que c’est le jeudi ça ? Grognements du péquin, glissant vers son chez soi, en pantoufles ; quelque chose du chien errant qu’on dérange (et qui reviendra, sûr). Traîne dans la nuit, un « pas vu, pas pris » qui sent au final plus mauvais que le contenu de la poubelle. Désespoir. Qu’est-ce qui se passe dans la tête de mon poseur de la décharge du soir ? Sait ce qu’il fait, au moins vaguement ; a peut-être eu une bonne note au contrôle sur le développement durable, à l’école. A – sans doute – entendu (il en est scandalisé) telle émission TV sur les méfaits des déchets sauvages en matière d’électroménager et d’informatique. Ce soir, c’est un micro-ondes et un très vieux PC du temps de son gamin à la maison, qu’il jette. Rien que ça, une broutille ! A parfaitement conscience ; discussions entre voisins auprès, justement, de la poubelle, de jour – que, monsieur, c’est une honte, les gens ne sont plus citoyens, ne veulent plus de contraintes, le collectif les emmerde, et j’ajouterai, monsieur ! n’ont plus que des droits, mais pas de devoirs… Schizophrénie sauce citoyen Lambda ; un pied dedans, un pied dehors, et ça roule… Respecter des consignes collectives, « obéir » à ses élus gestionnaires ? Du rejet de l’ancien temps de l’école ou des injonctions parentales ? acceptation théorique du vivre ensemble (dont on gave par ailleurs ses propres gamins) et, transgression à la moindre occasion. CQFD. Le citoyen par ici, est un drôle de zig pas fini. Pas nouveau ? Désolant, quand même, d’autant plus désolant ! Surtout, qu’à Montpellier, la belle, l’ouverte, et ça l’honore, il y a – trottoir d’en face de ma décharge – comme dans tant de grandes villes, d’étranges silhouettes, de jour, discrètes, un caddy de course à la main, souvent accompagnés de petits gosses agiles et grimpeurs. Leur tâche : fouiller les poubelles. Mon avenue en regorge de ces passagers de la misère, du pas assez ; Roms, probablement, en quête d’objets de rebuts dont on saura faire quelque chose, de vêtements, de nourriture ! Si ! En passant, on détourne les yeux. Malaise : trottoir de droite, le trop plein et son n’importe quoi ; jeter tout, s’en foutre, vouloir autre chose, moi, moi, moi… trottoir de gauche, agitation de souris dans le besoin… Entrecroisés, comme points de tricot le plus traditionnel qui soit ; la sempiternelle équation là, comme ailleurs, pas résolue : eux, nos élus, les délégués, nous, notre conscience citoyenne rouillée et paresseuse. Qui fait quoi ? Un vieux jeu de cartes pour enfants fatigués. Une société, ça ?