Mourir comme un art (1ère partie)
Dire au revoir à ma mère plusieurs fois c’est chaque fois me donner une condition de nouvelle naissance. C’est pour cette raison que je consacre une résonance de plus à ce chapitre. Magie d’une méditation colorée, agitée de note musicales, d’ondes murmurées dans le creux des reins, le poème symphonique Mort et Transfiguration de Richard Strauss transcende un inaudible rituel de paroles et prières dans un artifice de quatre célébrations sonores scandées sur une peau de mouton des Andes aménagée comme « la Route 66 » qui mentionne sur son tracé : ici odes et nymphes de la muerte se sont enivrées de nombres infinis, des chants de désirs surpris dans leur métamorphose, risquant à tout moment de malmener mémoires, nuées et débris de lune miroitant dans la froide image d’une humanité noire et rouge. Dans le miroir de ma chambre un agrandissement du miroir pendait du plafond et me renvoyait au bleu des cieux de R. Strauss. Un instant inquiète, je fus assez vite prise d’un bonheur prodigieux ; je vivais une ascension douce et vertigineuse à la fois. Agitation onirique dont je fus un moment distraite par défaut de pouvoir imaginer le mariage vie et mort rassemblé en une seule couleur. Abasourdie par le départ de ma mère, traversée de plein fouet par un cratère, je me nourrissais des mémoires de ses gènes ; cela me plongea dans un tel état que je pus me sentir naître mille fois en une. Mon émotion fut innommable. Une fois encore je surprenais dans mon corps une mise en marche dans une mécanique impossible, une cassure intenable, une perte partagée de mon rapport à la vie. La clôture d’un monde me prenait au dépourvu. L’événement devenait substance. Indomptable mort qui fait des terriens des nomades et des philosophes. Je ne pouvais sortir du modèle qui m’avait créée mais pour cette raison je devenais multiple et isolée. Existence reflétait non-existence qui à son tour se faisait écho d’existence prétendant que la mienne montait chaque jour un mur de méditations pareilles aux indélébiles démarches de milliers de générations. Je dus partir. Un unique départ pendant lequel mes mots prennent un indécent chemin-miroir du jour. C’est ce départ que je refais chaque fois quand je croise le doux regard de ma mère. Une présence alla prima sans reprise possible, une croisée des cœurs muets inédits et pourtant venant à chaque fois purifier ma pensée. Une cruelle munificence avait mis ma mère dans une mise à mort avec pour seule oraison le jeu des chiffres d’un destin perfide sans autre humaine pagination que diabolique.