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Prenez-la votre liberté, vous n’en serez que plus esclave !!

Les tunisiens n’ont jamais cessé de croire que la couleur rouge pourpre de leur drapeau symbolise le sang des martyrs, aujourd’hui cette couleur m’évoque plutôt une putain violemment fardée. La mère des révolutions arabes dit-on ? La putain des dictateurs vous dis-je, de tous ces dictateurs. Ils doivent se plaire là ou ils sont en regardant le bébé qu’ils lui ont fait faire, ce monstre hybride qu’ils ont appelé « la liberté ». Le peuple, subitement orphelin et non averti, hérite de ses pères ingrats une terre abondante. Chacun prend son morceau et s’en va cultiver son jardin comme un vieux retraité maniaque. La voilà leur liberté : une propriété privée, un petit luxe à soi. Aujourd’hui, en Tunisie, on parle de sa liberté comme on parle de son rouge à lèvres, de sa boîte de conserve, de son chat ou de son cigare. Des libertés pullulent ça et là comme la mauvaise herbe. Une furie généralisée s’empare alors des tunisiens pour défendre « sa liberté ». Pour les uns leur liberté est de « blasphémer » dans un pays musulman, pour les autres, c’est de continuer à mettre des mini-jupes. Et pour celles, privées depuis des années de travailler avec leur voile, elles s’en vont cultiver ce bien précieux qu’elles viennent d’acquérir : travailler avec le voile. Les accusations, les provocations montent d’un cran tous les jours. Pendant que les dictateurs profitent de leur séjour en Arabie Saoudite, le peuple se déchire. Certains, qui se proclament « laïques » avec une compréhension terre-à-terre de ce qu’est la laïcité, ont même fait une manifestation pour crier : « Eau et croutons, et le Niqab NON ». Mais comment peut-on être libre en manifestant pour une réclamation aussi petite, aussi mesquine ? Les femmes démocrates, des phalliques froissées dans leur féminité, n’ont en tête qu’un fantasme collectif et mal assouvi : les islamistes. Quoi qu’elles disent, soyez certains qu’elles vont évoquer des barbus dangereux et des femmes victimes dont elles se sont autoproclamées les avocates. Ecoutez-les, vous entendrez raisonner la rage des bacchantes déchiquetant Orphée et jetant sa tête au bord de la rivière. On entend raisonner un vécu douloureux, des expériences singulières, que nous n’avons pas à subir sur la scène publique. Mais c’est une mesquinerie comme les autres, car y a-t-il plus mesquin que de consacrer son existence, son être à combattre des spéculations, fruits de ses propres démons ? Puis, il y a eu Lina ben Mhanna, une jeune tunisienne qui a failli avoir le prix Nobel de la paix. Une autre folie s’est alors emparée des facebookers tunisiens. On montrait des photos d’elle la montrant en mini-jupe ou avec des tatouages. On ne cessait de la dénigrer, on les entend ressasser çà et là : « Qui est Lina ben Mhanna pour être le symbole de la révolution tunisienne ? ». A tous ces gens, j’ai envie de dire : Qui est Nobel pour mesurer la liberté des peuples ? Et d’abord, depuis quand un peuple libre mendie-t-il des trophées ? Je mesure de plus en plus la justesse des paroles de Descartes quand il affirmait que ce qui est insupportable en Démocratie, c’est qu’elle nous oblige à écouter les idiots. Mais s’agit-il vraiment de Démocratie ou d’imbécilocratie ? Posez-leur la question, ils affirmeront appartenir à la première catégorie, mais vous verrez qu’ils appartiennent à la seconde en parlant toujours des autres. Les pages Facebook foisonnent depuis le départ de Ben Ali. D’un côté celles qui sont « Contre l’Islamisme en Tunisie », « Contre Nahdha », « Contre Rached Ghannouchi », « Contre le Salafisme », « Contre la prière dans les universités », etc. De l’autre côté, des pages « Contre Olfa Youssef », « Contre les femmes démocrates », « Contre Nadia Elfeni », etc. Chacun croupit dans le marécage de sa liberté, les deux camps s’affrontent dans un éternel face à face conflictuel, comme des chiens de faïence. La France est fière de son grand Zola qui a écrit un seul article intitulé : « j’accuse… ». Combien de Zola la Tunisie possède-t-elle avec tous ces « contre… ». Et on parle de dialoguer !!! Foutaise, dès que vous ouvrez le bec, ils se précipitent à placer un « Moi je suis contre… ». Comprendront-ils un jour qu’ils peuvent consacrer leur petite existence à quelque chose de plus grand qu’une simple « réactivité » ? Comprendront-ils un jour que la Démocratie cesse d’être Démocratie au moment ou elle se donne comme infaillible ? Toutes ces prises de positions, négatives, maladroites et mal agencées, font-elles entrevoir le mal-être d’un peuple immature et non habitué à la Démocratie ? Ou s’agit-il d’une sorte d’« identification à l’agresseur » qu’était le dictateur ? Il s’agit certes de tout ceci, mais pas seulement. Ce que tout le monde en Tunisie se plaît à appeler « la liberté » est, en réalité, une exigence de pouvoir. Les uns et les autres brandissent la liberté comme un absolu, une divinité infaillible, car il n’y a que sous cette forme-là qu’elle peut obstruer l’abîme béant que le dictateur a laissé derrière lui. Mais derrière cet absolu, chacun tient à faire régner son morceau de liberté à lui. Ils n’ont pas compris que la liberté, au moment même ou elle devient un morceau de luxe individuel, cesse d’être liberté. Un morceau de liberté n’est qu’une prison pour soi-même et pour autrui, car la liberté réelle, la liberté unique et entière, est celle qui se conjugue au pluriel tout en appartenant à chacun. La liberté absolue est impensable sans une justice pour tous ceux qui l’animent. Hélas, je suis meurtrie de constater que la liberté à la sauce tunisienne de la post-révolution s’apparente à celle dont parle Jean-Edern Hallier : « Il existe aussi une liberté vide, une liberté d’ombres, une liberté qui ne consiste qu’à changer de prison, faite de vains combats entretenus par l’obscurantisme moderne et guidés par le faux jour ». – De grâce ! Rangez-moi toutes ces libertés bornées et malsaines. Mais la putain danse encore, montre son rouge pourpre et prétend rendre hommage à ses martyrs. Puis dans un geste d’insolence, prononce ces mots mal assortis à son fard : – « Je suis contre… » – Et vous appelez cela « liberté » ? Alors prenez-la votre liberté, vous n’en serez que plus esclaves. Dachraoui Sophia

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