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Reconstruire le Temple ?

Charles Enderlin, correspondant de France 2 en Israël depuis 1981 et binational franco-israélien, est l’auteur de nombreux ouvrages sur le pays où il vit. Celui-ci, paru déjà depuis deux ans, a été revisité par un documentaire du même titre – source de maintes polémiques – diffusé le 31 mars 2015. Le livre est un condensé de l’histoire d’Israël sur 50 ans ; pas question donc d’examiner celle-ci par le menu, mais plutôt de concentrer notre attention sur ce qui fait le cœur du propos d’Enderlin : le Temple. Il existe deux types de sionisme : le politique et le religieux (cf. la chronique que j’ai consacrée à ce dernier sur RDT). Pour Théodore Herzl, il s’agissait avant tout pour le Juifs de « disposer d’un état où ils seraient majoritaires, où ils seraient normalisés ». Être « normal », obsession commune – et paradoxale – tant de ceux qui voulaient se fondre dans les goyim par assimilation, que de ceux qui désiraient s’en dissocier en fondant un état « comme les autres ». Les sionistes religieux – à l’inverse – ont toujours insisté sur l’irréductible spécificité du peuple juif. Le rav Abraham Kook conçoit l’Alyah, le retour en Eretz Israël – littéralement la montée à Jérusalem – comme une manière de hâter les temps messianiques, l’olam haba, le siècle futur. Pour lui, écrit son biographe Yehudah Mirsky, « avec la destruction du Temple et l’exil d’Israël, Dieu n’avait plus nulle part où aller et s’éleva hors de tout lien avec une nation quelle qu’elle soit ». En 1967, au décours de la guerre des six jours, survint un événement à la fois militaire et eschatologique : la réunification de Jérusalem, précédemment coupée en deux par un mur comparable à celui de Berlin. Les paras de Tsahal pénétrèrent sur le Mont du Temple, hissant le drapeau à l’étoile de David sur le dôme du Rocher, le troisième lieu saint de l’Islam, là où Mahomet est censé avoir débuté son voyage nocturne à travers les cieux. Moshe Dayan, ministre de la défense, ordonna l’enlèvement immédiat du drapeau et confia, d’autorité, la mosquée Al-Aqsa au Waqf, administration des bien musulmans : « c’est une mosquée, dit-il, depuis mille trois ans, les Juifs doivent se contenter de la visiter et de prier devant les tombes ». Seulement voilà, cette esplanade correspond exactement au lieu où s’érigeait le Temple. Les religieux virent dans l’arrivée de Tsahal en cet endroit un signe. Un témoin de la scène, Israël Stieglitz, écrit : « je me suis dit que c’était certainement le Messie, venu construire le Temple en compagnie du prophète Elie ». Et le rabbin Shlomo Goren surenchérit : « l’esprit divin qui n’a jamais quitté le Mur occidental est un pilier de feu qui prend place maintenant devant les armées d’Israël ». Et il est parfaitement exact que la Torah parle de la Miskan , la résidence de Dieu, là même où se tient le Kabod YHWR, la Shekhinah , tout à la fois Gloire et Présence de Hashem (litt. le Nom). Ce fut d’abord le tabernacle contenant les tables de la Loi, que les hébreux transportaient dans le désert ; puis, une fois le Temple édifié par Salomon, le Saint des Saints. Ainsi émergea le Goush Emounim (litt. le bloc des fidèles), dont le but, nous dit Enderlin, « était de peupler la Terre d’Israël et d’attirer le public non religieux vers la Torah ». Yehuda Etzion, fondateur d’une des premières implantations israéliennes sur les territoires, envisage de « purifier » le Mont du Temple et prépare une opération destinée à détruire les constructions qui s’y trouvent. Arrêté et traduit devant un tribunal, il s’exprime ainsi devant la cour : il fallait se débarrasser « d’un bâtiment qui symbolise le contrôle de l’Islam sur le Temple et ainsi sur l’ensemble de la Terre d’Israël ». Nombreux furent les projets d’attaque du Haram al-Sharif, l’esplanade des mosquées. Trois fois (en 1969, 1982 et 1998) par des Chrétiens sionistes voyant dans cet attentat le moyen de « provoquer » le second avènement du Christ. Mais également par les ultra-orthodoxes qui préparaient minutieusement tout le nécessaire à l’érection d’un troisième Temple (notamment une génisse rousse ne devant présenter aucun poil d’une autre couleur et dont on devait recueillir les cendres une fois sacrifiée). Israël Eichler, journaliste de cette mouvance, se justifie ainsi : « le monde musulman pourrait comprendre que les Juifs élèvent une vache rousse afin de se purifier et de pénétrer sur le Mont du Temple afin d’y faire sauter les mosquées ». Mais, comme toujours, les extrémistes se font déborder par plus extrémistes qu’eux. Un certain Moti Karpel écrivit un pamphlet intitulé L’effondrement du sionisme et la révolution par la foi . Le but de Karpel étant bien sûr de « libérer » le Mont du Temple, mais également de subvertir l’État d’Israël. « Le messianisme de Karpel, écrit Charles Enderlin, considère l’État d’Israël comme une hérésie qu’il faut à tout prix transformer – par la politique ou la révolution ». Pour autant, il ne faudrait pas voir uniquement dans tous les fervents du troisième Temple de dangereux fanatiques, intégristes du Judaïsme. Hanan Porat, avec la bénédiction du fils du rav Kook, fonda une nouvelle formation, dénommée Tehiya, Renaissance. Sa vocation est universaliste. Le nouveau sanctuaire a en effet pour vocation « la rédemption du monde (…) c’est un symbole d’une nouvelle ère de rédemption totale ». Et Gershom Salomon, fondateur de l’association des Fidèles du Mont du temple et d’Eretz Israël, formula la prière suivante : « Notre Père qui êtes aux cieux, garde les enfants de toutes les nations qui accomplissent Ta volonté et craignent Ton Nom. Éveille les cœurs de Tes enfants pour qu’ils observent tout ce qui est écrit dans Ta Loi, afin qu’ils réussissent dans tout ce qu’ils font et hâtent ainsi la venue du Salut dans le monde ». Difficile pour Charles Enderlin, formé aux valeurs républicaines bien françaises, de comprendre ces aspirations eschatologiques. Voici sa conclusion : « après la destruction du temple, la pensée juive s’était engagée dans l’exploration d’un univers religieux où la présence physique de la divinité n’était plus indispensable. Cela procédait d’un processus de sécularisation intellectuelle fondé sur la dichotomie entre l’esprit et la matière, l’abstrait et le réel. L’avenir d’Israël, de sa démocratie, du sionisme libéral et de la paix, dépendra de la manière dont le Judaïsme saura résister à l’appel de l’eschatologie ». Et d’ajouter malicieusement : « en attendant, Heyuda Etzion prépare la venue de la dixième et dernière vache rousse… ». Et pourtant, comme l’explique le Livre des Rois, au moment de la consécration du Temple un feu descendit du ciel et consuma les sacrifices déposés sur l’autel. Oui, la présence « physique » de Dieu fait partie intégrante du culte. Alors, bien évidemment, une profanation du Haram al-Sharif entraînerait un embrasement de tout le monde musulman. Mais, d’un autre côté, renoncer à l’édification d’un nouveau Temple – sous quelque forme que ce soit – reviendrait à renoncer à l’olam haba, à l’achèvement des temps. Faisons confiance à la sagesse du rav Kook, qui dit clairement que la rédemption ne sera que « progressive et volontaire ».

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