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Revue de politique étrangère IFRI : face aux interrogations les plus sombres du début 2018

La revue Hiver 2017-2018 nous guide comme toujours, via ce « savant » qu’on comprend facilement, dans plusieurs chemins pouvant s’inscrire comme un « faire le point » sur les inquiétudes majeures, nous guettant en ce début 2018. Nous avons du coup lu la revue un peu différemment de notre façon habituelle, utilisant certes le dossier phare ( L’Irak après Daech ) et certains points du dossier second ( Trump, une rupture de l’ordre mondial ? ), mais approfondissant aussi deux forts articles de la partie Actualités, chacun comprendra pourquoi : Yémen, imbroglio politico juridique, désastre humanitaire, impasse militaire ; et Corée du Nord/États-Unis, jusqu’où ira la confrontation ? Antoine Bondaz éclaire – et c’est difficile de poser des jalons sur l’incertitude, les contradictions, les rebondissements d’une telle situation – la question que tout un chacun se pose en ce début d’année : La confrontation Corée du Nord/États-Unis , avec dès le titre le mot-clef de la problématique – jusqu’où. Depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong Un, la militarisation à marche forcée appuyée sur un très fort développement de l’arsenal nucléaire, et des capacités balistiques l’accompagnant, ne font plus aucun doute ; pas plus que l’escalade verbale foncièrement menaçante de D. Trump. Le face à face s’incarne aussi du reste dans ces deux personnalités – particulières – et dans les échos spécifiques sur leur population-public. L’article a le mérite de reposer la chronologie de la confrontation, et de souligner – certes, seulement hic et nunc dans cette géopolitique changeante – les stratégies possibles, les objectifs probables, les hypothèses de « solutions » se dessinant. Ainsi, ce sont d’armes sécuritaires, certes, dont il est question pour la Corée avec cette hausse (et ce perfectionnement) de son arsenal nucléaire, mais bien autant d’armes identitaires répondant à des champs politiques tournés vers la population. Outil « indispensable au juche  » recherche de l’indépendance politique, « s’opposant au sadae  » ayant défini par le passé la dépendance par rapport à l’empire Chinois. Contrairement à nos représentions occidentales, la RPDC aligne certaines réussites économiques notamment en croissance, sous l’égide d’une réelle autorité du dictateur dirigeant. Si les USA veulent à terme contraindre les Coréens à la dénucléarisation, à l’instar de la communauté internationale – ce qui passe par la table des négociations – il faudrait mesurer et trier dans les sanctions à l’œuvre actuellement, et ne jamais négliger la Chine, ni comme acteur de futures négociations, ni même comme inhérente à tous les concepts sur la confrontation (principal client de 90% des exportations nord-coréennes). Quant à l’éventualité de ripostes militaires dont des frappes nucléaires, l’article montre combien ce serait d’un coût considérable, notamment humain, et d’un résultat plus qu’incertain… L’article de François Frison-Rochesur La poudrière actuelle du Yémen est remarquablement utile car peu d’entre nous, sans doute, ont quelques idées claires et surtout précises sur cette guerre « petite devenant grande ». Or, c’est là, dans ce triangle moyen-oriental, entre Arabie Saoudite, Iran, sous le regard d’Israël, des autres pays du Golfe, et de la mouvance Djihadiste, que peut bouillir puis exploser un des endroits du monde les plus dangereux en ce 2018 entrant. A l’œuvre depuis plus de deux longues années, le conflit yéménite passe actuellement du statut de conflit inter-ethnique à celui de conflit régional, entre la coalition sunnite menée par l’Arabie Saoudite et les EAU, face à l’Iran représentant les Chiites. L’Onu semble impuissante. Connaissant parfaitement le sujet et le pays, l’auteur retrace les origines politiques, tribales, d’un conflit dans lequel l’opposition nord/sud, les manœuvres des palais, la corruption, ont joué leur rôle. Est soulignée l’intervention saoudienne, dont la légitimité semble contestable, au regard du droit international, face aux tribus Houthis chiites du nord (contrôlant pour lors Sanaa et 21 régions). On saisit sans peine combien cette poudrière demande une vigilance de chaque instant, et les interventions extérieures sont à peser finement. 10.000 morts à ce jour, des millions de déplacés et un désastre humanitaire entre famine et choléra… Pas de sujet d’actu sous l’œil d’experts TV, sans la constatation – parfois avec cris de victoire bien exagérés – de la défaite de Daech sur le théâtre d’opérations militaires de son califat tant en Syrie qu’en Irak. «  L’Irak a-t-il jamais pu exister ?  » s’interroge Jolyon Howorth dans le 1er article du dossier L’Irak après Daech . Rappel est fait de ce territoire toujours en défaisance et en devenir jamais cousu depuis les années 20. Nœuds de la guerre, et de la dure victoire, les Kurdes sortiront-ils cette fois des champs de bataille avec « leur » Kurdistan, comme état unifié ? auront-ils franchi les dernières étapes depuis la région autonome qu’ils avaient constituée en Irak depuis 1991. Pas encore, dit Adel Bakawan dans l’article «  Kurdistan, l’indépendance en balance  » . Les acteurs régionaux ne sont qu’inégalement favorables, de même que les capitales internationales ; le divorce d’avec l’État irakien, et un référendum positif pour l’indépendance complète posent à l’heure qu’il est, largement problème. Les milices chiites irakiennes (le chiisme étant rappelons-le majoritaire en Irak) ont joué un rôle important face à Daech ; elles sont nombreuses, investissent notamment l’éducation, mais sont diverses ; certaines très inféodées à l’Iran. Encore un terrain miné… Myriam Benraad a choisi un sujet éclairant et non moins inquiétant, celui de La vengeance comme ressort mobilisateur de l’État islamique. Une analyse des plus fouillées permet de balayer ce qui est vengeance dans l’idéologie de Daech, sa stratégie, sa communication, sa propagande évidemment. Violence «  licite, car c’est Dieu qui a ordonné la vengeance, construisant l’ennemi puis le déshumanisant, rage narcissique, jouant des stéréotypes de l’Occident… ensemble d’émotions négatives, produisant de la revanche propre à l’identification collective…  ». Article passionnant, qui, c’est évident, continue la validation de telles postures bien au-delà de l’échec sur le terrain, comme en une terrible résilience :«  Vous pouvez avoir les yeux rivés sur Raqqa et Mossoul, mais les nôtres le sont sur Constantinople et Rome  » (clip du mois d’août d’un djihadiste britannique.) Quant aux articles consacrés à Trump face à l’ordre mondial , l’ordre libéral international dont l’élection américaine fut un symptôme, et l’explication que Trump accentue le désordre bien que n’en ayant pas été l’instigateur, ne sont pas de nature à rassurer le citoyen lecteur. Faudrait-il, donc, en ce début 2018, jouer les Bisounours sont de retour dans le monde… On se serait douté que surtout pas !   Revue de politique étrangère, IFRI, Hiver 2017-2018, 23 €

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