Syrie ; la carte française
Et Daech de nuire encore et encore, pile sous le feu des média. Palmyre et son arc de triomphe, ces heures-ci, par exemple ; ils en ont mesuré le spectaculaire depuis longtemps, pensent que ces « Antiquités » ont le pouvoir, plus que tout, de nous remuer. Ils savent, ces gens-là, comment « nous parler ». Nous terroriser, évidemment, aussi, menaçant (jour après jour, dit le Quai) la main sur la grenade. Daech, le digne fils – plus moderne, plus armé, plus réel dans nos imaginaires au final, par son travail de construction d’un État quelque part sur les cartes – d’Al-Qaïda, une vraie et constante Grande Peur de l’Occident à lui seul. Alors, lutter contre Daech, chez nous – vigilance orange de chaque matin, c’est clair – là-bas, sur le terrain militaire (au sol ? ou plus haut), se coltiner à ces hommes en noir, juchés, toutes bannières-suie déployées, sur leurs pick-up, leurs chars et… leurs missiles. L’enfer des tympans de notre Moyen-Age, revenu. La guerre incontournable. Un affrontement qui ne devra pas être ce temps long, presque suspendu, interrogeant sur son efficacité ou sa contre-productivité, de la présence occidentale en Afghanistan, qui ne devra pas bavarder à l’infini, sur le contenu et l’amplitude de X coalitions, avant que de se noyer dans la vaste mer des procédures, des façons, et des limites ! Ah, les limites… Là, on est dans l’urgence. D’agir. Ce qui, hélas, ne protège pas des précipitations ni des mauvais chemins. Pour ne rien dire des voies sans issues. Agir, mais avec qui ? Si l’on veut bien de mémoire consentir le courage et la détermination qu’il a fallu à F. Hollande, un jour d’hiver passé, pour – quasi seul contre tous – faire donner ses troupes au Mali, pour protéger le sol sahélien, certes, mais bien autant les rues de nos villes de la nouvelle Peste brune. Si votre mémoire est encore assez vive pour ranimer le souvenir – un été, cette fois, pas si loin – de la ferme volonté de la diplomatie française d’aller voir de près cet État Islamique alors à ses débuts, que jamais Hollande – avec quelle justesse symbolique – n’a nommé autrement que Daech. L’Amérique se disait prête ; Obama recula (pas banal) mais l’honnêteté exige qu’on se souvînt que son Congrès en est le premier responsable. Depuis, de mouvantes coalitions – passant presque au panier dans les média – s’agitent sur le sol Irakien – le sol quasi natal des Djihadistes Sunnites. Gênant, probablement, les ambitions de Daech, mais, pourrissant aussi dans le marigot d’un Irak en proie à ses démons d’origine : l’éclatement en marche, à l’ombre des conflits inter-groupaux, notamment inter-religieux. Seulement, réellement ? confronté à l’opposition héroïque des Kurdes, Daech, on le sait, depuis, s’approprie des pans entiers de l’État Syrien, que sa guerre civile interminable fragilise à n’en plus finir. Aussi, carrefour géopolitique de première importance que les évènements actuels ; cartes rebattues. Comment fabriquer la « bonne » coalition, suffisamment cohérente et forte pour abattre – ici, au moins, ici, pour commencer – les hordes noires ? C’est alors, dira peut-être l’Histoire, que l’Occident pût découvrir une carte majeure ; l’entrée dans la danse de la Russie de Poutine. Cette « puissance faible » dont ma recension de la revue de politique étrangère de l’IFRI, début Septembre, vous a tenu informés. Une Russie bien décidée à revenir bruyamment dans le jeu international du Moyen-Orient – son lieu d’accès, après la Crimée, l’Ukraine, aux mers chaudes – à se faire voir et mesurer comme une grande puissance nouveau-style, qui a nom Russie, et qui veut ouvrir boutique, à son compte, loin de tous les souvenirs de L’Union Soviétique. Dans ses valises, une autre carte, bien gênante, on en conviendra, qui s’appelle Bachar El-Assad ; pas moins. Le deal est net : pas de coalitions sans le boucher de Damas, ses quelques 250.000 morts en bandoulière… Bouche bée, les diplomaties occidentales mesurent, mégotent, observant celui-là, qui, depuis tant d’années, combat l’ennemi Daech au-dedans de chez lui, se donnant – l’air matois – la vêture du pourfendeur du pire, du choléra face à la peste, du choix de Staline contre Hitler (rappelé de sa voix douce par « notre » Hubert Védrine, qu’on a connu plus inspiré). S’allier ? (pour un temps) avec ce diable camouflé dans ses costumes à l’occidentale, parlant anglais comme les livres de ses études, contre ces diables en djellaba, hirsutes, éructant un langage de tribu barbare. Étranger, au sens romain ; celui dont je ne connais rien… Accepter celui qui nous ferait moins peur. Et, pour cela, se voiler la face sur les crimes contre l’humanité ou pas loin, de la carte gênante. D’autant – et, là, ce n’est pas mince – que l’Iran, enfin revenue dans le concert des Nations, Chiite, à grand bruit, pourrait être de la partie. L’Iran, la grande puissance régionale… La France, par la voix forte de son président, à la tribune de L’ONU, a – mieux que parlé ; elle a été cohérente, avec la diplomatie du quinquennat – été courageuse, une fois encore. Tout le monde a dans l’oreille le ton et le fond de Hollande : « on ne peut faire travailler ensemble les victimes et le bourreau ; Assad (là, encore, il nomme d’une certaine façon) qui est à l’origine du problème, ne peut faire partie de la solution ».Donc, ce serait plusieurs fers au feu. Contre celui-là, et celui-ci. Pas un ni-ni, mais un et-et. Mais, plusieurs fronts à la fois, martèle l’Histoire, ne sont jamais recommandés. C’est du reste, l’essentiel de l’argumentaire des « faire autrement » qui contestent Hollande. N’en déplaise, la parole officielle de la France dit qu’Assad ne sera pas logé dans le camp militaire occidental ; qu’aucune tente n’est préparée pour lui. Que, s’il veut bien, par contre, sortir « honorablement » de chez lui, partir, enfin, aller au diable, ailleurs ; si Assad veut bien disparaître, on peut re-observer l’équation. On dit même, ça et là, que des émissaires français bâtiraient cette copie, sur place, et depuis un certain temps… Chasser de l’échiquier la pièce Assad, pour concentrer les énergies contre Daech, serait quand même une victoire en plusieurs coups. D’autres diplomaties renvoient cela à un après la chute des Djihadistes, ayant, eux, préconisé d’utiliser avant la carte Assad, de faire avec. La France, plus morale, mais surtout plus politique, fait, elle, un préalable de sa non-utilisation, de son éviction, ou, idéal, de son autodestruction. Cet « avant/après » – tout est là – n’est pas neutre ! clair, que notre diplomatie ne peut, par ailleurs, être accusée d’obstination. Et quoi qu’on dise ou lise ça et là, présenter un Hollande buté, idéaliste, moral uniquement, face à d’autres partenaires convaincus de réalpolitique, est un argument qui ne pèse guère. Tout au rebours ! Une cohérence – répétons-le, une volonté de convaincre et d’entraîner – la pierre d’achoppement du système, si l’on n’y parvient pas davantage – mais une démarche dynamique qui sait avancer ses pions, négocier quand il faut, et se montrer par là plus réaliste que beaucoup. Pour preuve, la façon dont Hollande a su accepter de marcher vers Poutine – la vraie new carte, c’est quand même lui ! Et, ceci, malgré les préventions et la résistance dont a fait preuve le président français, ne l’oublions pas, au pire de la crise ukrainienne. Le tournant Syrien – c’en est un, et de taille, une fois encore, toque à nos portes. La position Française est, plus qu’honorable, éclairante. Encore faut-il, pour que tout cela passe dans l’opérationnel, qu’elle convainque, et entraîne. On attend. On espère. Le compte à rebours a commencé, car c’est du temps dont il s’agit ici.