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Un « bon » gouvernement ? Vous avez dit un « bon » gouvernement ?

On ne présente plus Pierre Rosanvallon, sociologue, professeur au Collège de France, auteur de nombreux ouvrages autour du thème de la démocratie. Le titre de sa dernière parution peut faire sourire par son apparente candeur : y aurait-il un type de gouvernement qui soit « bon » ? En réalité, le livre part d’une constatation dérangeante : « nos régimes peuvent être dits démocratiques, mais nous ne sommes pas gouvernés démocratiquement ». Soit ! Mais qu’est-ce que la démocratie ? Rosanvallon ne prend pas soin de la définir (défaut majeur pour toute étude qui se veut universitaire), tellement cela lui paraît évident. Il faut attendre la page 197 pour lire – enfin ! – une définition, qui n’est qu’une reprise du Contrat Social : « en démocratie, c’est le peuple, directement ou le plus souvent par l’intermédiaire de ses représentants, qui est l’auteur des lois auxquelles il doit obéir. « Le peuple soumis aux lois doit en être l’auteur ». Dixit Rousseau. D’où le problème de la représentation. Le brave Jean-Jacques n’admet celle-ci que du bout des lèvres et à contre cœur. C’est à peine s’il consent à distinguer le « corps civique », les citoyens législateurs, du « peuple social », les autres. Idéalement il n’existe de démocratie que directe. Rosanvallon – rousseauiste réaliste – énonce alors deux catégories de régimes politiques : la démocratie « d’autorisation », celle que nous connaissons, et la démocratie « d’exercice », la vraie, la « bonne », celle vers laquelle il faut tendre. La première consiste en un blanc seing, homologué par les urnes : les gouvernants, légitimement élus, ont donc carte blanche – ou presque – jusqu’à l’élection suivante. La faille, évidemment, s’aggrave à partir du moment où l’exécutif prend le pas sur le législatif. Tel est le cas dans la quasi totalité des pays et plus particulièrement dans ceux qui ont adopté un système présidentialiste (États-Unis) ou semi présidentialiste (France). Les électeurs se bornent à « autoriser », sans avoir de prise concrète sur ce qui se décide. Déjà, la constitution de la seconde République (1848) était fustigée par Proudhon, qui en pressentait l’autoritarisme : « la présidence, c’est la monarchie », assénait-il dans Le Peuple . Et le socialiste, pourtant utopiste, de se lancer dans une diatribe contre des masses si facilement manipulables : « ce qu’il faut au peuple, ce qu’il demande, c’est un bon mâle, de forte encolure et de bonne race ». Rosanvallon passe, un peu plus loin, en revue les apologètes de « l’homme fort », depuis Max Weber et sa – charismatique – plebizitäre Führerdemokratie , jusqu’à De Gaulle et son texte républicano-monarchique de 1958, il s’agissait pour le Général, nous dit Rosanvallon « de lier d’abord la fonction de chef de l’état à une incarnation ». Blum, quant à lui, avait parfaitement vu l’irresponsabilité politique accordée – irresponsablement ! – de la sorte, au président de la République : « c’est un président de la République, qui sans être responsable devant l’Assemblée, possèderait un pouvoir propre et réel, un président, dont les ministres principaux et le président du Conseil lui-même ne seraient que l’émanation ». Phrases prophétiques, s’il en est… Donc, foin de la démocratie d’autorisation, mais quid de la démocratie d’exercice ? Cette dernière correspond, peu ou prou, à ce que Ségolène Royal nommait « démocratie participative ». Participer en est le maître mot. Oui mais comment ? Seraient-ce ces utopies, primitivistes et rousseauistes à la fois, que Rosanvallon cite sans trop y croire ? Ainsi l’organisation interne des Guayaki, ces indiens du Paraguay, décrite par Pierre Clastres en 1974 ?  Aucune coercition, aucun ordre, décisions à l’unanimité, sous la houlette d’un chef sans véritable pouvoir de commandement… Rosanvallon parle aussi des « indignés », français ou espagnols, « mouvements protestataires d’un nouveau style, mouvements de résistance sans chef, aspirant à exprimer les 99% des voix d’une population ne tolérant plus l’avidité et la corruption des 1% ». Sauf que des chefs, il y en avait ; mais ils se cachaient, avant d’apparaître au grand jour (cf. Pablo Iglesias et « Podemos »)… dans une société d’égaux, certains sont toujours plus égaux que d’autres, comme disait Orwell. Au final, Rosanvallon redescend sur terre pour proposer une « participation » citoyenne, fondée sur de bonnes vieilles valeurs consensuelles : « lisibilité », « parler vrai », « intégrité »… conclusion un peu fade, si l’on songe à une piste que Rosanvallon évoque sans vraiment l’exploiter : le règne de la loi. Ce fut l’idéal des révolutionnaires de 1789 : « un ordre sans visage, qui se veut universel et éternel » nous dit Rosanvallon. La France étant appelée à former un « loyaume ». En 1792, on célébra même « une fête de la loi ». Même si l’on peut rire d’un pareil régime – qui n’a jamais existé – et que certains dénommaient « acéphalocratie », un pouvoir sans tête, l’idée demeure intéressante quant à une possible refondation du principe de légitimité. Celle-ci appartiendrait à la loi (cf. le nomos basileus d’Aristote) en tant que protectrice et gardienne des droits de l’individu. C’est, en effet, cette référence suprême – et suprapopulaire ! – qui protège l’individu contre le peuple, lequel peut allègrement décider de mesures scélérates, liberticides, voire homicides. L’Histoire fourmille des méfaits « populaires ». Or bien évidemment, l’on ne peut, en droit, décréter la souveraineté de la personne humaine. A défaut, il serait intellectuellement prometteur de conférer cette souveraineté au garant de la personne : la loi. Le gouvernement partiel des juges serait-il LE « bon » gouvernement ? Une sorte d’oligarchie capacitaire ? Dommage que Rosanvallon n’ait pas davantage exploré cette voie.

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