Actualité 

Une poupée dans la Ghouta

Sur un tas de cendre humaine une poupée est assise Ou plutôt serrée dans les bras autrefois potelés d’une enfant. C’est l’unique reliquat de la vie qui autrefois fut normale Dans l’ancien verger de Damas. Quand l’oasis charnue embaumait De ses fastes les paisibles villages où seul régnait l’ordre du châwî . Là où était la beauté se tient, éventré, le désordre. Là où palpitait l’eau vive, l’ addân , les peupliers aux lignes accablées ne boivent plus que Leur mémoire. La poupée les a vus : Les enfants aux yeux fixes tournés vers le ciel impitoyable, leurs petites mains encore Suppliantes accrochées à leurs gorges de tourterelles suppliciées, Quand le gaz faisait de leurs rires un enfer. Les mères portant à bout de bras les bébés émaciés au ventre ouvert Dépecé empli du déluge de fer de feu d’acier de sang, les mères portant le fruit de leurs entrailles soudain réduit en charpie, piétas portant leur croix. La poupée les a entendus : Les bombes déchiquetant la nuit de leurs hurlements incessants les fracas sans nom Des Maisons des immeubles des écoles des hôpitaux des fermes éplorées Quand là où la main de l’homme avait forgé demain, soudain tout redevenait poussière Du passé. Les cris des vieillards aux djellabas rougies, les gémissements des mamans aux abayas soudain empourprées, les pleurs des bébés aux linges vermeils. Puis Le silence. La poupée a de la chance car elle est protégée. Protégée par cette enfant Survivante qui a caché les yeux de son jouet, car ce jouet est l’unique autre survivant dans Le verger cimetière contemplé par un monde devenu fou et aveugle et paralysé Un monde sourd aux appels Des enfants de la Ghouta de Damas d’Alep Comme il est sourd aux appels des enfants qui suffoquent dans l’eau bleue devenue noire De Mare nostrum. Les yeux de la poupée ne verront pas la bombe qui tuera cette enfant. La terre est bleue comme une orange Les hommes sont faits pour s’entendre pour se comprendre pour s’aimer Je dis « tu » à tous ceux qui s’aiment Et la poésie sauvera le monde… Ou pas, dans le printemps de la Ghouta Quand nous célébrons le Printemps des poètes. La poupée est aveugle.   Mais l’enfant, elle, nous regarde, nous regarde, nous regarde.   Une poupée à Auschwitz Mosche Shulstein   Sur un tas de cendre humaine une poupée est assise C’est l’unique reliquat, l’unique trace de vie. Toute seule elle est assise, orpheline de l’enfant Qui l’aima de toute son âme. Elle est assise Comme autrefois elle l’était parmi ses jouets Auprès du lit de l’enfant sur une petite table. Elle reste assise ainsi, sa crinoline défaite, Avec ses grands yeux tout bleus et ses tresses toutes blondes, Avec des yeux comme en ont toutes les poupées du monde Qui du haut du tas de cendre ont un regard étonné Et regardent comme font toutes les poupées du monde.   Pourtant tout est différent, leur étonnement diffère De celui qu’ont dans les yeux toutes les poupées du monde Un étrange étonnement qui n’appartient qu’à eux seuls. Car les yeux de la poupée sont l’unique paire d’yeux Qui de tant et tant d’yeux subsiste encore en ce lieu, Les seuls qui aient resurgi de ce tas de cendre humaine, Seuls sont demeurés des yeux les yeux de cette poupée Qui nous contemple à présent, vue éteinte sous la cendre, Et jusqu’à ce qu’il nous soit terriblement difficile De la regarder dans les yeux.   Dans ses mains, il y a peu, l’enfant tenait la poupée, Dans ses bras, il y a peu, la mère portait l’enfant, La mère tenait l’enfant comme l’enfant la poupée, Et se tenant tous les trois c’est à trois qu’ils succombèrent Dans une chambre de mort, dans son enfer étouffant. La mère, l’enfant, la poupée, La poupée, l’enfant, la mère. Parce qu’elle était poupée, la poupée eut de la chance. Quel bonheur d’être poupée et de n’être pas enfant ! Comme elle y était entrée elle est sortie de la chambre, Mais l’enfant n’était plus là pour la serrer contre lui, Comme pour serrer l’enfant il n’y avait plus de mère. Alors elle est restée là juchée sur un tas de cendre, Et l’on dirait qu’alentour elle scrute et elle cherche Les mains, les petites mains qui voici peu la tenaient. De la chambre de la mort la poupée est ressortie Entière avec sa forme et avec son ossature, Ressortie avec sa robe et ses tresses blondes, Et avec ses grands yeux bleus qui tout pleins d’étonnement Nous regardent dans les yeux, nous regardent, nous regardent.

Vous pourriez aimer lire: