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État islamique : le « double bind »

L’avancée irrésistible de l’« État islamique » pose un piège diabolique aux occidentaux : ou bien ne rien faire et laisser l’ensemble de la région (Irak, Syrie voire Liban) tomber aux mains des fanatiques, ou bien envoyer un corps expéditionnaire dans la grande tradition coloniale et risquer un « syndrome du croisé » coalisant les peuples arabo-musulmans contre les envahisseurs. C’est ce que l’on appelle, en anglais, un « double bind » : un dilemme qui lie (to bind), ligote le sujet, écartelant ainsi sa pensée entre deux impossibilités également inacceptables. Les dirigeants de ce pseudo Etat, pour barbares qu’ils soient, n’en restent pas moins de fins psychologues : tout est fait pour défier, provoquer, choquer. Leur barbarie a un but : pousser les occidentaux dans leurs derniers retranchements jusqu’à leur faire perdre la face d’une manière ou d’une autre. Soit en étalant au grand jour leur indécision et leur impuissance (la situation actuelle), soit en les engageant dans une guérilla sans fin (style Vietnam ou Afghanistan), impopulaire tant sur place que dans les métropoles concernées. La stratégie de « daech » garantit à celui-ci la victoire par la défaite militaire ultime de leur adversaire sur le terrain (cf. les Américains à Saigon ou les Russes à Kaboul), ou bien par l’humiliation des injures ravalées (exécutions théâtrales, vandalisme archéologique), des défis non relevés. Daech gagne à tous les coups. Mais, en remontant plus loin dans le temps, l’État islamique témoigne simplement de l’échec politique des vainqueurs de 1918, des accords Sykes-Picot de 1916, ouvrant la voie au démembrement de la partie arabe (coloniale) de l’empire ottoman, finalisée par le traité de Sèvres de 1920. Les pseudo Etats « bricolés » de la sorte ne reposant sur aucune homogénéité des populations, ni sur une quelconque conscience nationale : quid de l’« irakitude » ou de la « syritude » ? Les révolutions arabes ont fait éclater les baudruches de 1920, ouvrant un vide qui servit de terreau à l’islamisme. Mais le vide était originel. Une nation ne se crée pas ex-nihilo par la volonté de quelque démiurge apprenti sorcier. Les « inventions » franco-britanniques des années 20 se sont révélées désastreuses : la « grande Serbie », bidouillée en Yougoslavie, s’est écroulée en un conflit sanglant, et si l’éclatement de la Tchécoslovaquie fut plus pacifique, ce n’est qu’à cause de l’intelligence des instigateurs de la « révolution de velours ». La gifle que subit actuellement l’occident ne fait que solder de vieux comptes. Ignorance des réalités locales, hubris démiurgique de ceux qui – à l’instar des Sykes Picot ou des Bush père et fils – jouent avec les peuples comme s’il s’agissait de mécanos ; tout cela un jour se paie. Et ce jour est arrivé.

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