J. S. Bach « Message retrouvé »
Je crois être née comme un mythe au premier moment d’entre vous les hommes. Après quelques tartes en pleine gueule dans un ciel divisé en classe touriste et classe affaire, les yeux toujours mi-clos, je défaisais les plis de ma chemise de nuit, et courais nue dans ce siècle sans savoir que la nudité en tout genre est une arme de papier. Errant parmi les clandestins les ardents les coquins les étrangers dans la pénombre de l’égalité pendant que des pachas aux commandes, des putes se fabriquant des syndicats, cette moi, aspirée par les modes majeurs mineurs des symphonies pour un nouveau monde en yiddish en arabe, voyait s’évanouir un Christ historique, flottait à découvert, assouvie de tous les avenirs, liée au chaman divin réparateur, divinisant murs et mots dans un accord parfait en mémoire de ma logique à quatre dimensions. Le ciel pendait de tous les côtés. Il y avait longtemps que les talmudistes talmudaient, que les moines fondaient en méditation sous leur capuchon, que les nonnes se jetaient à plat ventre les bras en croix sur les dalles de marbre, que la voix des muezzins résonnait dans le ciel d’Allah, tous intermédiaires, tous missionnés, tous savants de la Parole. Alors parole image saintes ou pas, fallait bien aller à la source sous peine de magnifier un Dieu ménagé, engagé, nourri, emprisonné uniquement par les artistes. Á mon avis les gardiens de la mythologie grecque eurent des relations innocentes charnelles miraculeuses avec les raisonneurs des sentiers de la connaissance immensément ingénieux pour avoir été réalisateurs, cinéastes du monde américain, agitateurs de « nominés » ingérables, centres de magie démesurément gentillets sans autre talent que celui de musarder dans les agences du monde les mieux rétribuées. Arrivée sur terre comme l’oiseau s’élance encore tout chaud d’un rêve inachevé, nouveau-né autant dans le rêve que dans la réalité le cœur encore léger, mais déjà pris dans un violent affrontement, bout au vent, flairant les brumes menaçantes entraver son essor remet à plus tard une mort, je traverse mon histoire comme une vie artificielle. Toujours endormie avec l’angoissante idée de mort, pour rendre moins virulentes ces attaques nocturnes, je me fis parce que une fleur ça ne pense pas, mais le temps de la métamorphose passé, je me retrouvais en proie aux morsures viscérales du vide. Dès que je pris conscience que chaque matin, je me réveillais morte, je sus que la mort ça n’existait pas. Dans les très riches heures d’une terre qui n’est plus, je veux parler de celles où ma mère suppliante pénitente mélancolique d’une vie redimensionnée dans le chagrin jouait pour moi les « Variations » nos regards se touchaient. Démasquant les silences terribles, la chair sous la tunique meurtrie, comme si rien ne s’était passé, épuisée ou croyant l’être, face à son sourire, j’effleure les perles de son collier sur moi… Comme un Moix imbibé de Bataille je sens bien que je méritais à peine le secret d’entendre les pépites d’or de Bach. Entre chaque variation un levé de main, une respiration, une réminiscence, toujours un peu plus près du clavier, un chuchotement au bout des doigts : cinquante années passées sur l’instrument. Soudain une question comme une lame traverse mon corps en altitude, en abysse. A pas rapprochés du « Message retrouvé »… le coup qui m’a frappée me comblera-t-il d’une bénédiction demain ?