J’avais des amis en Afrique…
Ce texte, qui était paru dans l’ancien « Post », et dont je ne trouve plus trace, je souhaiterais aujourd’hui le dédier à Madame la Ministre, Christiane Taubira. Madame la Ministre dont je suis loin de partager toutes les opinions, mais que je soutiens, en ces jours où ma France brunit, de tout mon cœur républicain. Mon Afrique, il me semble, ne va pas très bien en ce moment. Entre les sacrifiés de Lampedusa et nos deux journalistes assassinés, entre ce prêtre enlevé aujourd’hui et les terribles tensions du Proche-Orient… Le monde, notre monde, bouillonne en tous sens, immense poudrière, pleine d’humains qui après les typhons ne trouvent même plus de quoi enterrer leurs morts, quand d’autres, honteusement, se gavent d’indécence. Alors, nous, Français, nous, tous Présidents de la République, nous, héritiers des Lumières, levons-nous pour dire notre solidarité face aux serpents de toutes les dictatures. Nous, Français, nous, tous Présidents de la République, serrons-nous les coudes, retroussons nous les manches, osons la solidarité, plutôt que d’insulter les femmes et la démocratie. J’avais, j’ai et j’aurai toujours des amis en Afrique, et dans le monde entier. Et j’aurai une pensée toute spéciale pour ce prêtre enlevé au Cameroun, le Père Georges Vandenbeusch. Que Dieu le garde. Et nos prières. … J’avais huit ans, guère plus. Bien sûr, nous avions un poste de télévision, et j’avais déjà vu des films se passant en Afrique, ou avec des Noirs américains. Mais là, ma grand-mère, soudain, serra ma main plus fort. C’est que dans ma petite ville tarnaise, dans les années soixante, on était vraiment loin du Bronx. Et des Black, c’est simple : il n’y en avait pas. Ma mamie me dit alors, sur un ton docte, empli de son bon sens paysan : – Tu vois ma poulette, c’est comme les arabes. C’est dans leur pays que poussent les oranges. Il faut toujours bien les éplucher. Jamais, jamais ne n’oublierai cette anecdote. Oh, ma mamie n’était pas ce que l’on appellerait aujourd’hui « raciste », c’était une femme bonne et simple, pleine de cœur et de tendresse. Elle avait juste vécu des guerres, et puis l’Algérie, où l’un de ses fils était parti longtemps, et en plus, son autre fils avait eu l’outrecuidance de lui ramener une « Boche » pour épouse, à quelques encablures de la fin des années brunes ! Et elle l’avait accueillie, avec bienveillance. Des années passeront, avant que je ne recroise des métissages, enfin extraite de ma torpeur provinciale. En découvrant ma ville rose, je trébuchais sur le monde. Le vrai. Je grandis en même temps que les revendications des peuples. J’avais toujours regretté d’avoir loupé 68, le destin m’offrit Touche pas à mon pote. Je me souviens des conversations enflammées avec mon ex belle-mère ; pour l’agacer, le père de mes filles et moi lui disions que nous appellerions nos enfants Ahmed et Fatima. Le dimanche matin, nous allions à Arnaud-Bernard, après le marché, acheter ces bons pains à l’anis et des bouquets de menthe fraîche. Quand le carillon de Saint-Sernin sonnait midi, et que les Puces commençaient à se vider, nous regardions voler les hirondelles autour du clocher, et nous étions heureux. De l’Afrique, je ne savais toujours pas grand-chose. C’était l’époque où nous parcourions l’Europe en vélo et où je terminais un mémoire sur les mouvements alternatifs allemands. Quelques copines noires, à la fac, et, plus tard, des étudiants croisés dans des bibliothèques, puis des parents d’amis de mes enfants, ou des membres de la communauté black d’Ixelles, où je vécus quelque temps, allaient devenir mes guides. Mon Afrique, bien sûr, avait d’abord été intellectuelle. De I had a dream, presque appris par cœur au lycée, que je ne peux encore aujourd’hui écouter sans frissonner, aux longs romans d’André Brink, en passant par Doris Lessing et par tous les Gone with the wind, ma fougue adolescente tordait le coup à tous les apartheids. Puis vint la musique, de Touré Kunda à Johnny Clegg, et tous les papillons d’Afrique me volaient dans le ventre en entendant le grand Bob pleurer No woman no cry… Et les gens. Un jour, je les entendis rire. Parce que pour moi, l’Afrique, c’est le rire. Bien sûr, le Sahel, les guerres, le SIDA. Et les fièvres et la colonisation, et toutes misères. Je le sais bien : il pleure, mon pays bien aimé. Mais moi, en ce jour d’Africa Day, loin de toutes les querelles politiques, des luttes fratricides, au-delà des immondes roitelets qui égorgent leurs peuples, et en hommage à toutes victimes récentes du printemps arabe, je voudrais seulement vous parler du rire. De leurs sourires. Mon Afrique à moi sent le gombo et les piments, et ondule des terres arides aux grandes plaines. Les femmes sont fortes, belles et courageuses, les enfants y grandissent choyés par des familles entières, et les hommes y construisent un avenir. Les couleurs chatoyantes des marchés font écho aux arts primitifs que l’occident s’arrache. Les négritudes y explosent de modernité et portent en elles les siècles de tradition orale. Mon Afrique est résiliente. Elle regarde devant. Elle n’oubliera jamais les cales putrides et les fers, les diasporas et les génocides. Aujourd’hui encore, le viol de masse et les meurtres commis par d’immondes dictateurs sont aux portes de nos actualités. Mais mon Afrique porte l’amour, aussi, comme on porte un enfant au cœur même des guerres. Mon Afrique, bien sûr, n’est faite que de rêves et de clichés. Mais de rencontres, aussi. Cette maman toujours souriante, drapée dans son boubou, que je croise tous les matins dans le bus, au cœur de ma province ; les chants joyeux des gospels, dont chacun me renvoie invariablement à cette scène de La Couleur Pourpre où le gospel de l’église fait écho au blues jazzy du tripot ; cette étudiante hébergée quelques mois, qui me faisait tellement rire en appelant sa mère au pays et en mêlant des mots comme « télévision » ou « ordinateur » à son dialecte ; et Obama, bien sûr… La France l’a un peu oublié, cet Africa Day… Entre les Sofitel et les radars, le nuage d’Islande et le tennis, j’ai un peu peur que mon Afrique ne passe à la trappe. Alors en mémoire d’Angela et de Nelson, et même si mon Afrique à moi résonne avant tout d’un concerto de Mozart et des mots d’une romancière danoise, je dédie ces pensées à tous mes amis noirs – on vient de me dire sur un réseau social que « Noir » est préféré à « Black » –, chocolat, café au lait, métis, d’Afrique du Nord ou du Sud, d’Harlem ou de N’djamena. Black Power for ever !!!!!!!