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Journalistes ; après la victoire…

Pêle-mêle, faisant la joie des « une » – toutes – ricochant de nouvelle dénonciation en goûteuse trouvaille, le «  Panama papers  » – nom simple, qui dit les choses – avance en gloire, énorme sandwich pour ces démocraties qui – jusqu’à ces heures haletantes d’un lundi d’Avril, à deux coudées du jour des poissons – marchaient tête haute et mains propres. Ou s’en donnaient l’air. Recette d’un mitonné classique : vous avez des (gros, très gros) avoirs, qui font une allergie massive au fisc de votre pays d’attache. Vous cherchez cette évasion fiscale vieille comme l’impôt, mais modernisée. Un paradis à quelques heures de vol attend vos « petites choses », du type de ce cabinet panaméen Mossack Fonseca, dont on parle (si c’est plein, il y en a d’autres de par le monde ; plus de 60 pays s’honorant du titre). On va vous y monter une société-écran, dite joliment off-shore. Et hop, plus d’impôts ou tellement moins. On aura au passage repéré la sémiologie du terme, amusant, « paradis » fiscal , comme quoi l’idéalité serait forcément assortie du non-paiement de taxes collectives. Bon. Le Panama Papers a quelque chose de ces grilles structurales que j’affectionnais tant dans mon métier d’enseignante : l’évasion fiscale, comment ça marche ? Simple et jouissif. La fraude à l’heure de la mondialisation. Un raisonnement à la hauteur du minot pas trop sot : – comme dans les contes, la vie allait son train, et le paradis des sous itou… susurre la maîtresse, jusqu’à ce que… what else ? disent les bouches en cœur des petits. Ça nous est donné comme une super production hollywoodienne, effets spéciaux en sus ; il y a du grand huit hurlant dans la façon dont nous arrivent ces vagues de noms d’éminences, de chefs d’entreprises, de chefs d’état, présidents, rois, stars du sport, et autres têtes bien connues. Tout ce qui compte dans le monde, du Gala-Voici aux lettres des sommets du pouvoir, passant par les sites des grandes banques et autres journaux de l’entreprise, vient d’être pris les mains dans le pot de confiture. Bingo ; on se croirait au feu d’artifice de Juillet – vois, la rouge ! là, le bouquet ! Encore, encore ! C’est remis, comme un trophée ramené par des chercheurs d’or, dans nos mains innocentes de payeur d’impôt de base, d’honnête travailleur et même chômeur, pardi.  On est baba – on avait déjà vu pas mal de feuilletons dans le même genre, mais là, à coup sûr, c’est l’Oscar en vue… Ainsi donc, le monde entier – Chine et Russie se partageant pas mal de rôles – va mal ; le monde entier triche – pas de pauvres dans le film, rien que du riche – et la morale, m’dame, s’est tirée sur une autre planète… Et forcément, bruyant comme un vol noir de Rafales, monte l’attendu grondement : « tous pourris »,  s’apprêtant à un envol en gloire, type jeux olympiques. A noter que ceux qui, par chez nous, chassent haut et fort les mains sales de tout un chacun – vous aurez reconnu le cher Front – demeurent le bec clos, leurs nippes ayant trempé dans la sauce…  Mais, au fait, qui nous raconte la chose ? Le héros des gamins ? Celui qui rétablit – sa cape et son masque de Batman battant le grand ouragan des fraudes – l’ordre moral et financier, parce que là-aussi, il en faut, na ! Que nenni. Des officines internationales dépendant de quelque ONU supposé donner au monde un sens ? Un ou deux (pourquoi pas le nôtre) pays, via ses institutions démocratiquement élues, ayant encore en caisse un reste de code de l’honneur ? Que non pas ! Le vent de la justice nous vient des journalistes. Banal, pas trop romantique, mais, bon… Journalistes, mais pas ceux, causeurs et besogneux ( pas trop validés des populistes, du reste) qui sont en train de nous narrer, jaloux, jusque dans les trémolos de la voix, l’épique aventure des autres, ceux qui ont décroché la queue du Mickey du manège, ceux « d’investigation ». Moins héroïque, certes, que les grands reporters de guerre, sentant l’ombre des bureaux poussiéreux, et seulement armée de ses ordis, l’espèce est un rien bizarre, mystérieuse, paraissant croisée avec le flair et la dégaine du policier, façon Colombo. Enquêteur, à sa façon non labellisée, c’est l’inévitable « investiga » qu’on a maintenant – vous l’aurez remarqué – comme à égalité avec le capitaine, dans chaque série TV. Fouineur, perturbateur, ne lâchant pas grand-chose, laissant les dents, il cherche, en parallèle, un peu « au noir ». Dans les temps anciens, il secouait la poussière de vieux journaux d’archives au fond des bibliothèques, et, pan, en faisait tomber le vrai coupable ; à présent, il surfe et pan… «  panama papers  » !… Des p’tits gars de Médiapart, quoi. Dans l’épisode Panama, c’est  le top, l’aristocratie des investigateurs, à qui on doit cette énorme moisson (11 millions de fichiers issus du cabinet Mossack Fonseca, balayant la modeste période de 1977 à 2015. Le plus grand « leak » de toute l’histoire journalistique). Ces nouveaux héros ont travaillé en partenariat international (108 média étrangers – mazette – globalisation oblige). Consortium de journalistes d’investigation, dont notre Monde du soir, en personne. Des années de quête, du silence, du bouche cousue, pas trop, finalement, la gueulante habituelle du milieu journaleu. On les imagine, sur leurs bécanes équipées comme pour la conquête spatiale, taiseux, faisant dérouler code après code ces intitulés de comptes de celui-ci, de celui-là. Chasse aux œufs de Pâques juste après coup ; gigantesque jeu éducatif, de piège déjoué en piège difficile : et à toi, le Cahuzac de légende (société aux Seychelles, l’animal), à toi, les drôles de Poutine – difficile de ne pas s’en douter, là. Et le roi du Maroc, et… pas d’Américains ? tiens donc ! mais par contre, DSK ; ah ! On en est heureux, fiers, comme une avancée démocratique – déléguée,  mais quand même ! installée dans le bas des échelles, court-circuitant fermement tous ces secrets-quelque-chose qui volaient d’habitude en rangs opaques entre nous et l’info. Cette globalisation, mondialisation – peu importe le terme – qui nous écrasait de son rouleau compresseur à entreprises, à fonds spéciaux, à menace de délocalisations sauvages ; de la suffisance aussi de son manque absolu de transparence ; voilà, que là, avec ce Panama des journalistes, elle nous rend quelque chose, nous fait un bref instant redresser nos échines : il y a là maîtrise, arrêt  d’un fleuve qu’on n’aimait pas.  Bravo à tous ceux-là, donc ; sur ce coup là, ajouterons-nous, car, ce qui a été débusqué c’est une « grosse » mousse du fonctionnement des paradis-sous, mais ce n’est qu’une écume… il en reste, des tonnes au fond de la mer, c’est l’évidence, et surtout, demeurent, mal ou peu activés, d’autres niveaux d’ action et d’autres acteurs à mettre au charbon : ce ne sont plus des journalistes, mais des États, des politiques, des institutionnels, dont la Justice, bien sûr. Chaque pays doit traiter « ses » paradis perso, ses relations avec son voisinage pas propre – sauce Suisse, hum ! Tout ça relève de nos élus, et de la façon dont ils envisagent leur programme socio-économique, dans une certaine éthique. Car ce serait un peu vite fait, dans la tête chauffée du citoyen de base ( et, bien plus, dans celle de l’adepte du populisme en marche) que de convertir  le journaliste – fut-ce d’investigation – en  justicier providentiel, finalement Batman, le redresseur de torts, sorte d’ acteur démocratique rendant aux peuples du monde un peu d’honneur, et de  capacité d’agir. De fait, ces cohortes amarrées à leurs armes-ordinateurs, guerriers des temps modernes, mélangées (image d’une saine internationale) semblant pas, ou peu intéressés, groupements non gouvernementaux comme on dit de l’humanitaire, ont tiré vers le haut l’image du journaliste ( quand même pas mal dégradée) celui du factuel, de l’indice, de la démonstration ; celui qui veut mettre à jour (pour son média, bien sûr ; regardez Le Monde de lundi !) mais plutôt proprement, pour l’usage de tous. Du neuf. Comme la face proprette de la mondialisation tant haïe. Certes.  A condition de ne pas se tromper dans le « qui fait quoi » ; un train pouvant en cacher un autre. Or, à peine quelques heures après le barouf, rafraîchissant du vent du Panama, l’onde de choc n’est pas toujours où il faudrait qu’elle soit : ces titres-là, conciliants face à un populisme en ascension ; ces chaînes d’infos à la louche ; ces gens que vous connaissez et qui glissent non-stop depuis pas mal de temps – ah, enfin, des qui en ont ! ces journalistes ! me dit, réjoui, mon voisin… S’arrêter à l’étage de la « diffusion » de ces documents dérobés pour le plus grand bien de nous tous, serait un piège, et signerait une vaste insuffisance. Si le travail médiatique a été impeccablement utile dans l’affaire, vouloir outrepasser ce rôle serait démocratiquement dangereux ; on le sent tous. Les Médias ne sont pas « un quatrième pouvoir », occulte et usurpé, mais ils ont un énorme pouvoir. Il leur faut le garder, voire l’amplifier, en conserver la substance, la teneur, et rien de plus. Derrière eux, et au-dessus d’eux, doivent fonctionner les pouvoirs liés à l’élection ; législatif, exécutif ; le judiciaire  étant le garant théorique des équilibres. J’attends pour ma part, les séquences « de fond » sur les paradis fiscaux. Celles qui doivent venir derrière le battage de ces jours derniers. Je me doute que ce sera plus long et moins flamboyant que le moment des journalistes. Mais la démocratie a un très haut prix. Et de plus en plus. 

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