La Russie, une puissance faible ?
Une fois passée la période – derniers feux de la Guerre Froide éteints – où la « super puissance américaine » Bushienne 1 et 2 flamboyait dans tous les médias, c’est du côté de l’ancien partenaire soviétique, que tous les regards se sont peu à peu tournés. 1991, éclatement du bloc de l’Est. Russie et ses satellites plus ou moins bougeants. Quid de la Russie ; quid surtout de la réalité de sa puissance ? Actuellement, il n’est guère question que d’elle, ses hydrocarbures, sa crise économique, ses mugissements sur la scène Ukrainienne, et son chef – Poutine, le rusé, Poutine, le craint, à tout le moins, le redouté. La problématique de la toujours remarquable revue de l’IFRI, est, de ce fait, posée pile dans l’axe : Russie, une grande puissance, certes, mais peut-être faible. Quatre forts articles charpentent le sujet dans la revue d’été-IFRI. Dossier dirigé par Tatiana Kastoueva-Jean. Plusieurs questions phares sont passées au crible. « Russie, puissance révisionniste ? », cherchant à modifier aux yeux du Monde et de ses partenaires de G8 en G20, sa représentation de puissance de rang inférieur. L’auteur (Fiodor Loukianov) s’attache à balayer le sens (les sens) de la diplomatie russe depuis ce « démantèlement de l’Union Soviétique, plus grande catastrophe du XXème siècle », formule de Poutine, qui, en fait soulignait surtout le risque des vides et des chemins expérimentaux qui en découlèrent. Du Kosovo, et des frappes de l’Otan – ressenti comme une terrible menace par l’opinion russe – au rattachement de la Crimée, formidable victoire nationaliste, à la présence sur la scène Ukrainienne, utilisée comme un récit fabriqué, les Russes n’ont de cesse de parvenir à « s’isoler comme objet politique » et à construire aux yeux du Monde, comme aux leurs, leur « identité » choisie. Pour Thomas Gomart, c’est à la dimension militaire du pays qu’il convient de porter le regard. « De la grande stratégie à la guerre limitée », « En raison de sa culture stratégique, de ses ressources, et du profil de ses dirigeants, la Russie reste un des rares pays capables de porter une grande stratégie », paradoxe quand on observe la guerre limitée qu’elle est (contrainte ?) de mener en Ukraine. Axée sur l’utilisation des bénéfices de ses ressources énergétiques (« 70% de ses exportations relèvent de ce domaine ») largement consacrées à la logistique militaire, cette « remontée du col » agressive veut montrer au Monde que la richesse énergétique est du domaine du nationalisme actif, puisqu’à protéger, que la peur ancestrale de l’encerclement persiste, que le glacis est impérativement à préserver, en repoussant tout ce qui pourrait résonner-humiliation. Là où la mémoire de la « grande guerre patriotique » est agitée, devant l’opinion russe à l’interne mais aussi devant les regards internationaux. Signaux, donc, en même temps qu’actions et discours. « La logique non économique de V Poutine » observe et passe au microscope la Crise économique russe. L’ère Poutine a vu incontestablement un redressement spectaculaire de l’économie russe. « Salaire mensuel moyen passé de 59 à 849 € ; retraite hissée de 18 à 328 € ; émergence d’une vraie classe moyenne ». Ceci aboutissant actuellement à un renversement de tendance – augmentation de l’endettement des ménages et du chômage ; difficultés des entreprises à développer de réelles politiques entrepreneuriales, notamment à l’export ; baisse du niveau de vie à l’horizon. Comme on pourrait parler de détournement d’un fleuve, les auteurs de l’article, Ioulia Joutchkova et Vladislas Inozemtsev, montrent comment le système Poutine et la volonté géopolitique du chef ont préféré alimenter l’image de la puissance militaire, et, à terme, la fabrication d’une Russie-grande puissance, plutôt qu’œuvrer au bien-être de la société ; considérant que l’opinion russe accepterait ce « sacrifice » transitoire… toujours, l’esprit « grande guerre patriotique ». Enfin Tatiana Kastouéva-Jean, dans un copieux article, faisant office de conclusion magistrale sur le sujet du dossier – « Le système Poutine : bâti pour durer ? » – montre que si « Vladimir Poutine à travers l’annexion de la Crimée et la gestion de la crise Ukrainienne, a incarné de nouveau une Russie dominante autour de valeurs conservatrices rassemblant la nation », le système Poutine dans son interaction avec ses concitoyens demeure à part. Depuis 15 ans au pouvoir, voilà un homme politique qui surfe sur « 80% d’opinions favorables », sachant que ce genre de sondage est à prendre en Russie avec la plus grande prudence, dans un pays où la démocratie politique est « particulière » avec une opposition en partie hors du pays. Depuis 2012, « la balance penche… vers l’autorité, la centralisation, la personnalisation du pouvoir … le nationalisme, et l’anti-occidentalisme », ce dernier fortement agencé en colonne vertébrale idéologique, et pas seulement dans l’affaire Ukrainienne. Un contrat social d’un genre particulier s’est articulé autour de quelques axes : « stabilité politico économique contre une faible participation à la vie politique… attention particulière portée aux retraités, à l’armée, aux siloviki, représentants des structures de force, sécurité, police, douanes ; nouvelle jeunesse pour l’image des fonctionnaires, et des compagnies publiques… ». Pour contrôler ses oligarques, l’État a renforcé son emprise sur des pans entiers de l’économie (re-nationalisations) faisant apparaître une « corpocratie » d’État, fidèle au système, qui résonne sur « le modèle d’État paternaliste cher à la plupart des groupes sociaux russes ». Mais, pour autant le fonctionnement bloque et se crispe. Lois très raides et répressives pour empêcher la parole de contestation notamment via des manifestations. « Renforcement du contrôle des média ; suppressions des élections de maires dans les grandes villes, minimisant ainsi tout hasard démocratique… appui sur la religion orthodoxe pour consolider le régime… ». La survie du système – toujours sur le fil, ça et là, et agissant sur des éléments contradictoires – dépend dans le futur, nous dit l’auteure de l’article, du niveau du prix du pétrole russe, dont la remontée va régir la crise… l’harmonisation des politiques régionales mettant « pour le moment à jour de telles différences qu’un vrai fédéralisme », aux dires d’Evguent Primakov, sera une condition essentielle à la sortie de crise. « S’autodéfinir face aux autres… trouver une identité, voire une Russéité… devenir un sujet neuf… » , c’est aussi, nous dit l’introduction de ce numéro de la revue, l’essentiel, le cœur de ce qu’il faut lire actuellement dans le système Poutine en action et en discours. Une Russie-grande puissance neuve, et non, simplement, ce quelque chose qui a survécu à l’effondrement du Monde Soviétique, ancien Grand, qui ne pourrait, du coup, que vouloir indéfiniment reconstituer ce qui faisait cette puissance, tant dans son fonctionnement intérieur, que dans ses positionnements géopolitiques. Rêve de la grandeur passée que, pour autant, Poutine n’hésite pas à convoquer dans les crises qui l’opposent à l’Occident notamment. Laquelle, a du coup, de « grandes difficultés à formaliser une stratégie de long terme vis-à-vis de l’acteur flou (et fluctuant) qu’est la Russie ». Revue de Politique étrangère, IFRI, Eté 2015, 23 € En dossier second : Climat ; avant la conférence de Paris