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Le poste de papa

Le poste de papa était un Grundig, qui avait sans doute transité au nez et à la barbe des douaniers, en cette époque bénie d’avant Schengen, lorsque mes frères et sœur et moi, dormant à l’arrière de la 404 familiale, cachions les trésors teutons rapportés par mon père de cette Allemagne florissante des Gründerjahre, durant les longs trajets entre notre Sud-Ouest et la Rhénanie de maman… Le soir, le poste grésillait. Mon père nous appelait parfois pour nous faire écouter quelque émission de la Deutsche Welle, voire même « Voice of America » ; les yeux brillants, il montait le son en nous faisant rêver à ces terres lointaines qui, soudain, envahissaient dans notre petit salon de province. Bien avant internet, le monde toquait ainsi à notre porte, merveilleux et si vaste, puisqu’il suffisait de tourner un bouton… Plus tard, lorsque papa fit des essais de CB, nous franchîmes encore une étape, admirant ce père radio amateur, qui savait franchir toutes les frontières… Chez mes grands-parents français, on écoutait « le poste », une minuscule radio à piles. Et mon grand-père, parfois, entre deux extractions de son bon miel de montagne, d’évoquer le Général, et puis les camarades du maquis, avant de monter le son si Mireille chantait… De l’autre côté du Rhin, dans la luxueuse maison bourgeoise de mes grands-parents allemands, trônait le même Grundig que chez nous. Je voyais parfois ma grand-mère fermer les yeux en écoutant, en pleine après-midi, quelque valse de Vienne, tandis que la voix grave des speakers allemands énonçait les nouvelles, enfin bonnes… Comme je suis reconnaissante à mes parents d’avoir su traverser les frontières, au fil des ondes, eux aussi, et d’avoir osé cette réconciliation franco-allemande, si peu de temps après les bombes… Moi aussi, très vite, on m’offrit un transistor. Je n’étais pas peu fière, du haut de mes treize ans, avec ma radio orange, bien dans les tons des seventies, assortie à mon électrophone et aux grosses fleurs du papier peint ! Hélas, les pauvres pré-ados que nous étions n’avions droit qu’à quelques stations qui se battaient en duel… Heureusement, existait déjà le fameux Hit-Parade, et aussi le « Programme à la lettre » d’RMC ! Une lettre tirée au sort me valut ainsi une quasi célébrité, lorsque ma programmation exclusivement composée de musiques de films traversa même la Méditerranée ! Une dizaine d’étudiants maghrébins m’écrivirent cet été-là à ma maison de campagne, prêts à m’épouser, ignorant, grâce à la burqa des ondes et à son manque d’image, que je n’étais qu’une jeune fille boulotte et disgracieuse !!! De mon côté, je dormais avec la photo dédicacée de mes animateurs préférés sous l’oreiller… Et puis un jour, j’eus enfin vingt ans. La radio semblait avoir grandi avec moi, car soudain elle prit toutes les libertés… Les « radios libres » étaient nées, et mes contestations de jeune gauchiste avec elles. Ensemble, nous refîmes le monde et décidâmes de changer la vie. De la musique avant toute chose, et, surtout, la liberté ! Et un matin, le monde, une fois de plus, vint à moi ; j’étais à Toulouse, dans l’appartement de ma sœur et de son copain, et nous prenions le petit déjeuner. C’est le premier souvenir concret, réfléchi, que j’ai de « France Info ». Alain, qui faisait des études de droit, m’a longuement expliqué les avantages de cette radio innovante, américanisée, qui allait nous permettre d’être informés de tout, en permanence. Dans un monde dépourvu de Twitts et de tchatts, dans ce monde lisse où il fallait encore mettre des pièces dans un appareil pour appeler nos parents le dimanche, et un timbre sur une enveloppe pour donner de nos nouvelles à nos grands-parents, dans un monde dont on suivait le cours en lisant les journaux, ce nouveau fil des « flash infos » toutes les heures, assurément, c’était de la Bombe. Bien sûr, il y avait la « valise RTL », et le « Téléphone Sonne », et le « hit-parade » d’RMC, et le « Téléphone Rouge » sur Europe, tous ces moments où, entre plaisir et information, les auditeurs, déjà, avaient la parole, et une emprise directe sur la vie. Mais là, c’était novateur. Minute après minute, le monde venait à nous. À n’importe quelle heure du jour et de la nuit, en se servant le café où en terminant la vaisselle du soir, nous étions, déjà, « connectés », et de façon presque incarnée, sans l’image, certes, mais par les voix de ces journalistes qui finirent, au fil des ans, par devenir partie intégrante de notre quotidien. De fait, aujourd’hui, j’ai des radios partout. Avec une savante gymnastique des ondes, jonglant entre France Info, quasiment en boucle dans ma cuisine, Gascogne FM, dans la salle de bains, France Culture, au salon (pour assortir à Télérama, négligemment posé sur un fauteuil, au cas où un bel homme de gauche croiserait ma route…). J’ai même une radio à piles, c’est mon fils qui a insisté, il a appris à l’école qu’en cas de catastrophe naturelle ou de guerre, c’est bien. Bon, en fait, je triche ; souvent, pour faire la vaisselle, je mets « Virgin », c’est plus dansant que Bernard Thomasson – Bernard, si vous me lisez, je vous embrasse –, voire même, si je suis en arrêt maladie, « L’amour la vie etc », pour me faire des sensations en pleine journée… Sans oublier « Nostalgie », histoire de me souvenir des chemises blanches de Michel Delpech et de mes maisons bleues… Mais la plupart du temps, sans rire, je suis une dingue de « France Info », depuis le début, une afficionada, capable d’écouter dix fois le même flash, voire même les commentaires sportifs… Je suis sans doute une femme Barbara Gould, mais je suis avant tout une femme France Info. J’ai grandi avec cette radio, je suis devenue épouse – deux fois –, mère, j’ai étudié, travaillé, déménagé, divorcé, voyagé… Il y a eu la Chute du Mur de Berlin, et je pleurais à chaudes larmes puisque, enceinte et clouée chez moi, nantie d’un époux communiste, hostile à la fois à la chute de l’Empire soviétique et à l’obtention d’un poste de télévision, je ne pouvais que suivre cet événement depuis ma chambre ; métisse rhénano-tarnaise, allemande de cœur, je vibrais, moi aussi, grâce aux récits à chaud des correspondants, et j’ai presque eu ainsi l’impression de casser un petit bout du mur… Avec la radio, oui, j’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans, des « Tréteaux de la nuit » écoutés sous la couette, en ces lointains samedis d’avant Ruquier, à ces nouvelles insupportables, écoutées en boucle, les larmes aux yeux, quand des tours s’effondrent ou que les océans noient le monde, en passant par toutes ces nuits où je m’endors entre « Nashville et Frisco », bercée par la « Collection Georges Lang »… La radio, c’est l’imagination au pouvoir.   Sabine Aussenac

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