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Nietzsche ? Où ranger l’immense parti de la Suspicion ?

« En somme une espèce d’artistes osés et téméraires, magnifiques et violents, volant très haut et s’élevant très haut, qui durent d’abord les premiers enseigner à leur siècle : le siècle de la masse – la notion d’artistes ». Mais malades… Je vous avez lu. Je vous avez cru. Il y avait donc un creuset où puiser un men­songe, où le vrai devrait s’inventer dans une cité pour ceux qui savent, accessible seule­ment aux fous de Dieu ? Je désirais que cet avant-moi s’estompe doucement sans me faire mal, qu’un après-moi prenne place, toute ma place dans mon ventre en descendant paisi­blement comme une sphère bienfaisante délicate, petit à petit je sois fleur, étamine, ruisseau, petite fleur des champs, feuille de géranium, as­phodèle ou oiseau. J’aimais ce mot : mé-ta-mor-phose. Je le sentais dans chacun de mes gènes, entre deux gestes, dans le son de ma voix quand je l’éprouvais pour être aimable har­gneuse, directive, sèche ou totalement neutre. Toutes ces facettes qui peuvent me convenir ou m’assaillir, me contiennent autant que je les gouverne. Agitée inondée piratée par le mot, le jour où j’ai découvert mon corps n’est pas le jour où je découvrais ma chair. Mon corps me conseillait le meilleur, ma chair en faisait les frais. Dans le même temps ma raison n’était ni du côté de mon corps ni du côté de ma chair ; un autre corps fait d’une matière, soit exilée, soit secrète, invisible, douloureuse aussi, avait son mot à dire. Étant in­transigeant avec l’unité de ma nature il fai­sait de métamorphose une petite réalité honorant une initiative comparable à un point d’orgue. Étourdi du vacarme des colères et des cou­leurs des dieux de l’enfer je devais retrouver l’univers secret, l’abri où la douceur des vibrations atténuées, où les demi-teintes deviennent mutantes, où aucun langage n’est connu, où les sons ne pour­raient être dé­chiffrés que par moi, où la lumière s’invente, où se mou­voir est ma­gie, où les poussières n’ont plus d’hostilité, où impuis­sance est belle comme un retourne­ment dans l’extase. C’était un avant-moi ou un après-moi ou peut-être le moi qui n’avait pas su exister. La violence de la déchirure où m’avait en­traînée cette cruelle découverte révéla un état de ma personne où s’effaçait une réalité pour laisser place au mot apartheid  tatoué sur une chair rêvée d’être sans être, où une trans­mission flottante différente de toute matière connue était si nouvelle que ne pou­vait en jaillir qu’un être neuf. Après une dé­rouillée avec pro­fusion de tartes en pleine gueule sur une terre di­visée en compartiments deuxième et troi­sième classe, les pans de ma chemise étaient en guenilles, je renaissais à l’égal d’un mythe qui se serait vu refuser son entrée dans l’His­toire. Personne n’osa la moindre réflexion. De mondialiste je devenais insulaire avec un autre souffle et une pause cardiaque. Néant mur­murait comme le péril jaune, le malheur avait raviné mes pensées, ma raison s’était barrée, et dans ces conditions violentes un centième de ma juste déception puisait son marasme dans un cerveau vide. Confucius qui savait tout d’avance au­rait pu me souffler dans l’oreille : pas d’idée, pas de nécessité, pas de posture, pas de moi et ouverture au pos­sible selon disponibilité. Mais ça c’était du chinois pour chi­noise et non destiné à un hasardeux avec méthode de musardeux sur internet. Cette lumière qui tombe sur les trottoirs, les gens, les maisons, prend sa source dans la Mé­diterranée qui bat là, à mes pieds. Les Bleus, les gris, les verts me donnent le courage de me sauver de la ty­rannie des mots, d’échapper à l’esclavage d’un mirage où s’étaient incarnés une pensée, un corps étranger. Les oripeaux d’une aventure dont la milliardième partie se délitait entre deux grains de sable ou s’écrivaient avec des mots avariés. Enfin je pus m’offrir au soleil. Une force centrifuge me chassait de mes dehors, pour m’affranchir. On ne rêve pas de la même façon dans deux langues différentes de même que les so­leils de l’un n’ont pas la même ardeur que les so­leils de l’autre. Obsession récurrente de mon cinéma, où je pénètre déli­catement sans perdre ma sauva­gerie, quand je parle la langue de ma mère avec une voix transformée par la commotion du transvasement, que les gestes qui s’ensuivent sont les masques dont je me pare pour la visite d’un hôte irréel invulné­rable. De traduction en traduction, je chemine prodigieusement gratifié et coupé de bon sens des pieds à la tête. Marginal marqué par les Romains, les Chrétiens, les Musulmans, les vrais, les faux… j’interprète ma propre langue. La langue de la métamorphose d’un être dans son être. Dans l’instant du réveil, cet instant où tout est possible parce que le Temps est ca­pable de tout abolir, tout révéler pourvu que les voiles aient volé dans cet inconnu de nous-mêmes, le doute, la sus­picion, le rêve, l’augure d’un moi ébloui d’un soi comme le miroir qui au­rait acquis une magie, celle de transformer un rêveur en un être rationnel formaté par les règles d’un vingt et unième siècle uni­versellement chaussé de cette tragédie mo­derne qu’on appelle la pensée de masse​.​

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