Quand la vérité blesse…
Opinion Ilan Halimi, l’assassinat par Merah d’enfants d’une école juive, la tuerie de l’hypercasher, puis Sarah Halimi et Mireille Knoll… non ! Décidément, trop c’est trop ! L’embrasement – que dis-je ! – le déchaînement de l’antisémitisme en France nécessitait une réponse ; en vérité, une riposte. Mais de quel antisémitisme parlons-nous ? L’amalgame serait mensonge. Car il ne s’agit pas de l’antisémitisme en général, du vieil antisémitisme catholico-droitier qui renaît aujourd’hui dans des pays, d’ailleurs, sans Juif (Pologne, Hongrie). Non, l’antisémitisme qui tue actuellement est nouveau, il ne vient pas des mêmes groupes, il ne se réclame pas des mêmes références. Il se réclame du Livre. La semaine dernière, paraissaient coup sur coup un livre et un manifeste : Le Nouvel antisémitisme en France , préfacé par Elisabeth de Fontenay, et un manifeste sur le sujet, paru dans Le Parisien , rédigé par Philippe Val, ancien patron de Charlie Hebdo et l’un des contributeurs de l’ouvrage susnommé. Le manifeste reçut 250 signatures prestigieuses. « Cette terreur se répand, lance-t-il en guise d’incipit. Les Français juifs ont 25 fois plus de risques d’être agressés que leurs concitoyens musulmans. 10% des citoyens juifs d’Ile-de-France – c’est-à-dire environ 50.000 personnes – ont récemment été contraints de déménager parce qu’ils n’étaient plus en sécurité dans certaines cités et parce que leurs enfants ne pouvaient plus fréquenter l’école de la République. Il s’agit d’une épuration ethnique à bas bruit au pays d’Émile Zola et de Clemenceau. Pourquoi ce silence ? Parce que la radicalisation islamiste – et l’antisémitisme qu’il véhicule – est considérée exclusivement par une partie des élites françaises comme l’expression d’une révolte sociale ». « Epuration ethnique », le mot cingle et choque la bien-pensance de gauche, qui, dans l’affaire, se sent morveuse. Oui, désormais les Juifs ont peur, les Juifs partent. Laurent Joffrin, peu suspect d’islamophobie ou de dérive identitaire, précise : 60.000 alyoth (retours en Eretz Israël), soit – effectivement – 10% de Juifs franciliens. Oh, certes, il ne s’agit pas de ce qu’ont subi les Albanais du Kosovo, puis, après eux, des Serbes de ce territoire ; la réalité se fait plus sournoise, plus perfide ; ce sont les « sale juif » accumulés qui poussent parents et élèves à fuir les établissements scolaires publics, dans les quartiers dits « sensibles ». Ce sont les agressions, verbales ou physiques, qui vident certaines communes de leurs Juifs. Oui, épuration ethnique il y a bien. Le manifeste demande « l’obsolescence des versets du Coran appelant au meurtre ». Sujet jusqu’alors tabou : y-aurait-il un lien entre Islam et islamisme ? L’islamisme ne serait-il pas uniquement la perversion malsaine d’une religion fondamentalement saine ? En réalité, ce que vise le manifeste, ce n’est autre que les fameux « versets sataniques », ceux que la tradition attribue, non à l’ange Gabriel comme le reste du texte, mais à Satan, et dont la dénonciation valut à Salman Rushdie une fatwa/condamnation à mort. En particulier, la sourate 4, 30 : « Les Juifs disent qu’Usayr (Arabe non converti à l’Islam, allié aux Juifs) est fils d’Allah ; et les Chrétiens disent que le Christ est fils d’Allah. Telle est la parole venant de leur bouche, qu’Allah les anéantisse ! ». Daniel Sibony, dans sa contribution au livre sur le nouvel antisémitisme, dénonce cet adjectif, « nouvel », il écrit : « Je trouve curieux qu’on use ce terme pour désigner l’arrivée en Europe d’une vindicte anti-juive très présente dans le texte fondateur de l’Islam et dans sa transmission pendant plus de treize siècles dans les pays sous son contrôle ». De fait, tous les livres des religions du Livre contiennent des horreurs. Mais il existe en la matière une double spécificité de l’Islam : d’une part, celui-ci s’est figé à partir du XVIème siècle et n’a pas connu la modernité, ni de la renaissance, ni des Lumières, ni du XIXème siècle industriel ; d’autre part et surtout, à la différence de la Torah et du Nouveau Testament, le Coran ne fut pas écrit par des hommes (Moïse ou les apôtres), mais il a été dicté directement par Dieu, via un ange. Le dit divin ne s’amende pas, ne se relativise pas. L’indispensable travail critique sera long et, par nature, sacrilège… En dépit de la tribune publiée dans Le Monde , le 24 avril, par trente imams condamnant fermement l’antisémitisme et évoquant « la confiscation de notre religion par des criminels », les réactions négatives s’accumulent. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, s’insurge contre « le procès injuste et délirant d’antisémitisme fait aux citoyens français de confession musulmane et à l’islam de France. Ce manifeste présente le risque de dresser les communautés religieuses entre elles ». Et la gauche ? Ah, la gauche ! Les lecteurs de Mediapart tempêtent. Françoise Diehlman, bloggeuse : « Alors Mesdames et Messieurs signataires du ‘Manifeste contre le nouvel antisémitisme’, vous n’avez pas honte d’avoir rejoint le combat identitaire, votre combat n’est pas celui de la France, gardez votre haine. A votre manifeste, je réponds : #PasEnMonNom ». Pascal Lederer, autre bloggeur : « Ce texte fait coup double : il innocente les exactions permanentes d’un Etat qui se proclame indûment porte-parole des Juifs dans le monde et il innocente les responsables politiques français et ceux de l’Union Européenne qui couvrent d’un silence complice une telle politique ». Sans commentaire. Le lien intrinsèque entre antisionisme et antisémitisme a été amplement démontré : pour les antisionistes, la « colonisation » remonte à la « naqba », la « catastrophe », la création de l’état d’Israël ; les communautés juives de par le monde n’étant que les « collabos » de cette spoliation. Bien entendu, la France Insoumise se joint au chœur des pleureuses ; Eric Coquerel, un des lieutenants de Jean-Luc Mélenchon, qualifiant le manifeste « d’antimusulman », et le très modéré Stéphane Le Foll déclarant laconiquement : « Je n’aurais pas signé ». Alors, coupable la gauche ? Caroline Valentin, avocate, contributrice du livre sur le nouvel antisémitisme, accuse : « le soutien de ces ‘idiots utiles’ est en grande partie la cause du silence de l’Etat sur l’antisémitisme des ‘quartiers’. Car, malgré sa faible représentativité électorale, cette gauche est extrêmement influente dans les corps intermédiaires. Elle a ses entrées dans un grand nombre de médias et est passée maître dans l’art de manipuler des éléments de langage droit-de-l’hommiste dégoulinant de pathos ». « L’islam est bon, continue Monette Vacquin, psychanalyste et autre contributrice, puisque c’est la religion innocente des pauvres que nous avons exploités au temps de la colonisation, nous, en utilisant leur force de travail ». La complicité de la gauche tient à son saisissement pétrifié – tel un lapin pris dans les phares d’une voiture – face à une possible stigmatisation des jeunes de banlieue – avatars à la fois de la figure de l’ouvrier et de celle du bon sauvage à la Rousseau – le jeunisme et l’antiracisme convergeant vers une absolution honteuse et inavouée de l’antisémitisme. Oui, que la vérité perce au grand jour, même si elle blesse.