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Taha Hussein n’était-il pas contre la révolution algérienne ?

In « Souffles » … De toute la littérature maghrébine écrite dans les deux langues, Taha Hussein (1889-1973), surnommé le “doyen des lettres arabes”, n’a lu que deux romans : le premier est la Colline oubliée de Mouloud Mammeri (1917- 1989) et le deuxième est le Barrage (Assad) du Tunisien Mahmoud Messadi (1911-2004). Le premier est écrit en français et le deuxième en arabe. Devant ces deux romans, Taha Hussein n’a caché ni sa méconnaissance de la littérature maghrébine ni, d’ailleurs, la fascination dégagée par une telle écriture libre et rebelle. Dans son livre intitulé Critique et Réforme (Naqd wa islah), Taha Hussein salue l’écriture romanesque de Mouloud Mammeri en la qualifiant d’écriture moderne. “La Colline oubliée, écrit-il, est un livre époustouflant, une écriture au summum de l’exaltation.” Ainsi il a classé ce texte comme “meilleur livre écrit dans la langue de Molière dans les années cinquante”. À titre de rappel, la Colline oubliée a été édité pour la première fois en 1952. “Je ne sais pas, ajoute-t-il, si ce roman a été primé en France, là où des livres qui n’arrivent pas à l’égaler sont gratifiés.” Taha Hussein découvre dans la Colline oubliée, de Mouloud Mammeri, une écriture romanesque sincère et profonde. Forte dans sa simplicité sociale. La simplicité est le génie des grands écrivains. Dans sa critique, Taha Hussein arrange, sans aucune ambiguïté, la littérature algérienne d’expression française parmi l’ensemble de la littérature nationale résistante. Si le doyen de la littérature arabe a fait tous les éloges littéraires de la Colline oubliée de Mouloud Mammeri, en revanche, il n’a pas prononcé un seul mot, il n’a pas écrit une seule phrase dénonçant le colonialisme français, source de tous les maux que vivait la population du village Tasga de la Kabylie. Là, où se déroulent les événements du roman. Certes, Taha Hussein est l’un des piliers de la modernité de la pensée arabe contemporaine. Avec un courage intellectuel, il a transgressé le tabou religieux. Cause de son éviction de son poste à l’université d’Al Azhar. Avec ses écrits critiques modernes, qui ont bousculé tous les interdits, il est considéré comme l’écrivain arabe le plus polémique du XXe siècle. Le plus lu et le plus contesté. Taha Hussein fut l’écrivain favori du raïs Gamal Abdel Nasser. Il fut aussi proche ami de Cheikh Bachir El-Ibrahimi, président de l’Association des ulémas algériens. Malgré son courage, sa révolte intellectuelle et sa notoriété symbolique, Taha Hussein n’a jamais parlé, n’a jamais écrit sur la Révolution algérienne. Une question embarrassante ! Il ne s’est jamais rangé aux côtés des intellectuels français et arabes, ceux qui ont pris position en faveur de l’indépendance de l’Algérie, à l’instar de Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Francis Janson, Fernand Iveton, Jean Daniel, Frantz Fanon, Al Akkad, Amel Dounkoul, Abdel Mouati Hidjazi, Acharkaoui, Siyyab, Kabbani, Bayyati, Baradouni, Chawki Baghdadi et d’autres. Mais pourquoi Taha Hussein, ami de Gamal Abdel Nasser et de Cheikh Bachir El-Ibrahimi, n’a-t-il pas pris position en faveur de la Révolution algérienne et de l’indépendance de l’Algérie ? Une seule interprétation me paraît convaincante : Taha Hussein fermait l’œil ! Obturait l’oreille vis-à-vis de tout ce qui se passait en Algérie colonisée afin de ne pas gêner sa femme française Suzanne. Cette dernière, d’après quelques témoins, exerçait une autorité particulièrement négative sur son mari sur nombre de questions politiques, particulièrement la guerre d’Algérie. Docteur Ahmed Taleb El-Ibrahimi écrit dans ses Mémoires, paru chez Casbah Editions, Alger 2006, qu’il a rencontré Taha Hussein au Caire. Dans une discussion entre les deux hommes, en présence de Suzanne, Ahmed Taleb El-Ibrahimi s’est trouvé consterné devant un Taha Hussein qui ignorait tout ce que la France coloniale avait commis de crimes en Algérie. Longuement, il a expliqué à Taha Hussein les barbares outrances commises par Bugeaud, Bigeard, Massu, Papon et tant d’autres bourreaux durant 132 ans de colonisation de l’Algérie : “Il m’écoutait, écrit Ahmed Taleb El-Ibrahimi, et m’interrompait de temps à autre : ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible.” Peut-on imaginer un Taha Hussein intellectuel éclairé, francophone, libérateur et libre, qui ne savait rien sur ce que la France coloniale a perpétré comme massacres en Algérie colonisée ? Cette image d’un Taha Hussein hors histoire, lui qui se dit historien, est déshonorante et offensive.

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